Chronique

Des Oscars sous le signe de Trump

L’animateur de la 89e cérémonie des Oscars, Jimmy Kimmel, avait prévenu tout le monde que son animation ne serait pas trop politique. Heureusement pour nous, il n’a pas tenu parole…

D’entrée de jeu, le populaire animateur de talk-show de fin de soirée a multiplié les références désobligeantes à Donald Trump. Et il n’a pas lâché le morceau. Il faut dire que le premier mois à la présidence de M. Trump a offert bien du matériel aux humoristes de toutes les nationalités.

« Si vous êtes de CNN, du L.A. Times, du New York Times ou même du Medieval Times, on vous demanderait de quitter la salle. Nous n’avons pas de tolérance pour les fausses nouvelles », a dit Kimmel, sardonique et en grande forme, en faisant référence à l’exclusion de plusieurs médias d’un point de presse de la Maison-Blanche.

Jimmy Kimmel a entamé son monologue d’ouverture en parlant des 225 pays où les Oscars étaient télédiffusés hier soir « et qui nous détestent désormais ». Il s’est aussitôt excusé d’avance à ceux qui espéraient que son animation puisse unir une Amérique divisée. « Il n’y a qu’un Braveheart dans la salle et il ne va pas nous unir lui non plus », a-t-il ajouté, pendant que la caméra nous présentait Mel Gibson (qui a soulevé la controverse pour des propos antisémites il y a quelques années, alors qu’il avait été arrêté en état d’ébriété).

L’animateur-vedette de la chaîne ABC a aussi rendu hommage à Meryl Streep et à « toutes ses performances peu inspirantes et surévaluées », en rappelant les fameux tweets désobligeants de Donald Trump, au lendemain de la cérémonie des Golden Globes.  « Belle robe, a-t-il ajouté, en s’adressant à la comédienne, finaliste aux Oscars pour la vingtième fois. Est-ce que c’est une Ivanka ? »

Kimmel a par ailleurs salué tous les finalistes de la soirée en leur rappelant de mesurer leur chance, en cas de victoire, de lire le président des États-Unis tweeter en majuscules sur eux, à 5 h du matin, pendant la selle…

« Ce ne sera pas populaire, mais j’aimerais remercier Donald Trump. Souvenez-vous l’an dernier quand on accusait les Oscars d’être racistes ! », a aussi déclaré l’animateur. Il n’a pas lâché le morceau de la soirée, présentant notamment la présidente de l’Académie, Cheryl Boone Isaacs, comme « une rareté », c’est-à-dire « un président qui croit aux arts et à la science ». Mme Boone Isaacs a parlé de la diversité, sans toutefois aborder de front la controverse #OscarSoWhite, qui a secoué la cérémonie des Oscars depuis deux ans.

Jimmy Kimmel n’a pas été le seul à égratigner Donald Trump. Les pointes contre le président américain ont fusé de toutes parts. « En tant que Mexicain, en tant que Latino-Américain, en tant que travailleur migrant, je suis contre tout mur qui veut nous séparer », a déclaré le présentateur Gael Garcia Bernal. Le présentateur Mark Rylance a parlé, dans une allusion à peine voilée à la dernière élection présidentielle, de ce que les femmes font mieux que les hommes : « s’opposer sans haine ».

« Dans les quatre prochaines années, on ne vous oubliera pas, vous n’êtes pas seuls », a déclaré Barry Jenkins, le cinéaste de Moonlight, Oscar du meilleur film et du meilleur scénario adapté, en s’adressant aux membres de toutes les minorités, ethniques ou sexuelles. Même le lauréat italien de l’Oscar du meilleur maquillage a joint sa voix au concert de critique en acceptant son prix au nom de « tous les immigrants ».

L’Iranien Asghar Farhadi, qui a remporté un deuxième Oscar du meilleur film en langue étrangère pour Le client, avait déjà annoncé qu’il renonçait à être présent à la cérémonie, afin de protester contre le récent décret anti-immigration de Donald Trump. Dans un discours qu’il avait préparé et qui a été lu par une collaboratrice sur scène, il s’est insurgé contre ceux qui « divisent le monde en deux catégories : nous et eux ». Il a expliqué son absence, « par [son] respect pour les gens de [son] pays et ceux des six autres nations qui ont été bafoués par la loi inhumaine qui interdit l’entrée d’immigrants aux États-Unis ». Il a été applaudi à tout rompre.

« Notre but dans l’art comme en politique est le même : découvrir la vérité », a quant à lui déclaré après minuit Warren Beatty, avant de remettre l’Oscar du meilleur film à La La Land de Damien Chazelle… puis, dans un moment surréel, à Moonlight de Barry Jenkins. Une erreur monumentale qu’il a expliquée par le fait qu’on lui avait remis la mauvaise enveloppe (celle de la lauréate de la meilleure actrice, Emma Stone).

Elle semblait bien lointaine l’époque où Michael Moore s’était fait huer à la cérémonie des Oscars parce qu’il avait osé remettre en question l’invasion de l’Irak en 2003. 

« Nous vivons à une époque où nous avons des résultats fictifs d’élections qui font élire un président fictif. Nous vivons à une époque où un homme nous envoie en guerre pour des raisons fictives », avait-il déclaré en allant cueillir son Oscar pour Bowling for Columbine. C’était bien avant les « faits alternatifs » de l’administration Trump.

Le « Grand Orange » – non, pas Rusty Staub –  s’est fait étonnamment discret sur Twitter pendant la cérémonie. Plus tôt dans la journée, il s’était insurgé contre le New York Times, qui a acheté du temps d’antenne publicitaire pendant le gala. « Pour la première fois, le défaillant New York Times a acheté une pub (mauvaise) afin de sauver sa réputation défaillante. Essayez plutôt d’être équilibrés et exacts dans votre couverture. »

Le président n’a pas tweeté de la soirée, précisant qu’il avait une importante rencontre avec des gouverneurs. Jimmy Kimmel, inquiet de son silence, lui a lui-même envoyé quelques messages par Twitter peu avant 23 h, lui adressant les salutations de Meryl Streep. Un de ses excellents flashes.

La soirée avait dans l’ensemble un ton enjoué, inspiré par le numéro d’ouverture de Justin Timberlake, qui s’est rendu sur scène depuis les coulisses avec ses danseurs, au son de Can’t Stop The Feeling (qui est devenue brièvement Lovely Day, le classique de Bill Withers). Un numéro qui rappelait étrangement celui de René Simard à la Soirée des Gémeaux en 2013. Plagiat ? On mettra un journaliste d’enquête sur le cas.

Malgré quelques longueurs – le groupe de touristes en tournée hollywoodienne qui ne voulait plus quitter la scène –, des prestations musicales qui tombaient parfois à plat (Sting, zzzz...) et l’incroyable ratage de la remise du prix le plus prestigieux à la toute fin, cette 89e soirée des Oscars a dans l’ensemble été réussie, grâce à un rythme soutenu et à l’animation juste assez cinglante de Jimmy Kimmel.

On s’y attendait : il a bien sûr été question du fameux « running gag » autour de la fausse dispute entre Kimmel et Matt Damon. Depuis qu’à la fin d’une émission Jimmy Kimmel Live ! qu’il jugeait médiocre, l’animateur a lancé à la blague à son public : « Toutes nos excuses à Matt Damon, mais nous n’avons plus le temps de le recevoir », le gag a pris une ampleur insoupçonnée. Hier, l’animateur a continué de s’acharner avec humour sur l’acteur, oscarisé en 1997 pour le scénario de Good Will Hunting, en disant qu’il était prêt à « enterrer la hache de guerre » afin de rendre « America Great Again ».

Une autre bonne blague inspirée par Donald Trump…

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.