Mode punk

Coquettes à mohawks

Avant Madonna et Cyndi Lauper et des années-lumière avant Lady Gaga, des filles fauchées et créatives ont bricolé la mode punk. Fouinant dans les bazars et chipant des épingles à couche dans la boîte à couture de leurs mères excédées, les premières punkettes cultivaient l’art du « faites-le vous-même ».

Dans les années 80, Danielle Hubbard était trop prise par son entraînement de ballet classique pour brûler la chandelle par les deux bouts, dans les repaires punks du Vieux-Montréal. Mais cette danseuse et performeuse aux rallonges noires interminables, qui règne toujours dans l’underground montréalais, a adhéré aux valeurs et à l’esthétique des disciples punks qui communiaient à l’autel des Foufs et de l’hôtel Nelson.

« On découpait les cols de nos t-shirts. Moi, je n’étais pas puriste et j’aimais mélanger les couleurs néon du new wave avec les studs et le cuir du punk. On enlevait les étiquettes sur nos vêtements, parce qu’on rejetait le prêt-à-porter. Mais maintenant, depuis le hip-hop, c’est devenu l’inverse : les gens sont contents de payer 120 $ pour telle marque de casquette. »

VaVa Vol, artiste multidisciplinaire dont l’exubérante présence a fait les heures de gloire du Thunderdome, des Clochards célestes, du Beat, du KOX et du Garage, s’inspirait de la rue et de l’underground pour composer ses looks. « Comme je voyageais beaucoup, je trouvais mes trucs à New York, Amsterdam et Berlin, ainsi que dans les entrepôts de Montréal qui vendaient des vêtements et accessoires rétro. En 1980, on mélangeait les looks des années 20 jusqu’aux années 60 ! C’est un job à temps plein de faire mes looks. »

Cheveux spikés, colorations vives ou crâne à demi rasé. Épingles à couche aux oreilles. Bas filets déchirés. Jupettes et bottillons noirs. Maquillages arc-en-ciel exubérants. Les coquettes rebelles qui avaient 20 ans au temps d’Anarchy in the UK s’accoutraient pour provoquer, déranger et faire rager leurs parents.

« Pour la première fois, on voyait du linge déchiré et c’était ça, l’idée, de le porter déchiré et de mettre des épingles à couche dessus. Tout d’un coup, on a vu arriver plein de gens qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient et qui inventaient des styles. C’était très créatif », a témoigné le regretté designer Georges Lévesque, dans le documentaire Montréal Punk : la première vague.

Dans ce film paru en mai 2012, le réalisateur Erik Cimon fait la genèse de l’émergence du punk à Montréal, au milieu des années 70. « Les tout premiers punks de la scène montréalaise étaient de jeunes artistes, étudiants à Concordia, super brillants et allumés. Ils s’habillaient dans les marchés aux puces, portaient des vestons à l’envers, déchirés, des couleurs qui n'allaient pas ensemble. C’était une mode de rue ludique, qui a ensuite inspiré des designers », rapporte-t-il, en entretien téléphonique.

Quand le laid est devenu beau

« Le punk, c’était un rejet radical de la foutaise bourgeoise », exprime le poète Fortner Anderson dans le film Montréal Punk.

Et cette explosion de révolte contre l’establishment se traduisait dans une mode de rue inspirée et totalement inédite. À Londres, où la jeunesse « No future » se ralliait contre les politiques de Margaret Thatcher, la mode punk a pris racine entre les murs de la boutique SEX fondée par Malcolm McLaren. L’impresario des Sex Pistols y vendait les créations de Vivienne Westwood.

Dans sa boutique de la rue Saint-Denis, Pyer Desrochers, pilier montréalais de la scène punk, importait des vêtements signés Westwood. Puis, d’autres boutiques comme Cargo, Dutchie’s, Pop Shop sont apparues, vendant des Dr. Martens et des t-shirts imprimés.

« La scène punk était très liée avec la scène gaie et les drag-queens, ainsi que la scène sado-maso. Cela a donné un beau mélange, où le latex cohabitait avec les t-shirts déchirés », raconte Érik Cimon, qui indique que depuis son émergence, dans les années 70, la mode punk a été réhabilitée à quelques reprises. « Le punk a été réapproprié et adapté au goût du jour. Mais aujourd’hui, ce style n’a plus le même impact : on peut porter des studs et des spikes et travailler à la Banque Royale. »

L’artiste visuel Zilon, pur produit des années 70 contestataires, déteste ce passage dans le courant grand public d’une esthétique née dans la marge. « On s’habillait avec de vieux vêtements accrochés avec des épingles. Aujourd’hui, il y a du monde qui paie 600 $ pour une paire de jeans déchirés, parce que c’est la mode. »

« Le look punk n’a aucun rapport avec les robes de bal, les épingles à couche en diamants et les queues de cheval qui ont été présentées récemment au Met Gala ! La seule designer qui est restée fidèle à l’esthétique punk est Vivienne Westwood, parce qu’elle est une véritable pionnière », souligne VaVa Vol.

Le punk est-il mort ? Pas selon Danielle Hubbard, qui perçoit un renouveau authentique du mouvement chez Pussy Riot, par exemple. « Les gens se souviennent que, shit, ça voulait dire quelque chose ! »

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