Opinion  Religion

Un siècle de Benoît Lacroix

Le père Lacroix a toujours excellé à faire le pont entre culture moderne et spiritualité chrétienne

À première vue, rien pour jubiler en ce mardi 8 septembre : le retour du long congé de la fête du Travail possède un arrière-goût de fin d’été ; la rentrée scolaire s’annonce houleuse ; un mois nous sépare encore du début de la saison du Canadien ; et puis, pour les férus d’histoire, n’est-ce pas le 8 septembre, il y a exactement 255 ans, que Montréal capitulait face aux Anglais, lors de la Conquête ?

Tout de même, j’espère que chacun a une ou plusieurs raisons de ne pas trouver le tableau si noir. Une des miennes, et j’ose croire qu’elle peut réjouir beaucoup de mes concitoyens, croyants ou non, est le fait que le père Benoît Lacroix, l’une des figures les plus marquantes de la culture québécoise moderne, célèbre aujourd’hui son centième anniversaire de naissance.

Encore empêtré dans une version simpliste du Québec de la « Grande noirceur », on néglige souvent de mentionner ce que la société québécoise moderne doit à quelques figures ecclésiastiques d’envergure. Par exemple, Mgr Alphonse-Marie Parent, qui a présidé la commission du même nom, et le père Georges-Henri Lévesque font partie des pères de la Révolution tranquille.

Benoît Lacroix s’inscrit indéniablement dans le sillage de ces grands hommes.

Après avoir fondé le Centre d’études des religions populaires, en 1968, il a contribué aux échanges culturels avec la France en occupant la chaire d’études québécoises à l’Université de Caen. Au début des années 80, il fut recruté par le sociologue Fernand Dumont pour siéger au comité scientifique de l’Institut québécois de recherche sur la culture.

Chevalier et Grand Officier de l’Ordre du Québec, le vénérable dominicain a rayonné bien au-delà des cercles religieux. Ayant longtemps enseigné et dirigé les études médiévales à l’Université de Montréal, le père Lacroix a écrit pendant presque vingt-cinq ans dans Le Devoir, notamment ses fameuses chroniques pascales, véritables bijoux de prose poétique sur la vie, la mort et l’amour.

En fait, le père Lacroix a excellé, et excelle toujours, à faire le pont entre culture moderne et spiritualité chrétienne. Tout en restant fidèle à son engagement de religieux, il fait preuve d’une largeur d’esprit et d’un humour qui lui ouvrent tous les cœurs. C’est lui que Pierre Elliot Trudeau désirait avoir à son chevet. Et quand on se souvient que la chroniqueuse Josée Blanchette, qu’on ne peut certainement pas suspecter de complaisance envers les gens d’Église, lui a déjà décerné le titre de « grand apôtre de la liberté et de la pensée pluraliste », on comprend pourquoi des gens de tous horizons spirituels ont désiré l’avoir dans son entourage.

Ce fut mon cas. Pendant mes deux années de maîtrise en littérature, j’ai consulté abondamment les Poésies complètes de Saint-Denys Garneau, colligées par Jacques Brault et Benoît Lacroix. Mais la première rencontre physique avec ce dernier eut lieu lors d’un souper au couvent dominicain, chemin de la Côte-Sainte-Catherine. J’y ai découvert un religieux affable et d’une grande humilité, acceptant les taquineries de ses plus jeunes frères avec magnanimité et bienveillance.

Plus tard, lorsque j’ai travaillé au centre de pastorale universitaire portant son nom, j’ai pu constater à quel point l’homme attirait à lui, chaque jour, tant des blessés de la vie que de jeunes étudiants en philosophie.

Bref, après plus d’un siècle à s’intéresser à ce qui a agité, de tout temps, le cœur de l’être humain, Benoît Lacroix est devenu un des grands humanistes de l’histoire du Québec. Il est la preuve vivante que la sagesse du passé peut irriguer la culture actuelle.

Joyeux anniversaire, père Lacroix !

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