Chronique

Érable grand cru

Avez-vous déjà acheté ce qu’on appelle du sirop d’érable en Europe ? Ou même aux États-Unis, ailleurs qu’au Vermont ? Trop souvent, ce n’est même pas du vrai sirop. Parfois, on donne l’impression que c’en est, en mettant une feuille d’érable sur la bouteille, alors que c’est plutôt du sirop de maïs aromatisé artificiellement. Parfois, c’est une version coupée de notre sirop. Bref, il y a des dizaines et des dizaines de milliers de gens dans le monde qui croient manger du sirop d’érable, qui croient savoir ce que c’est, et qui n’ont en fait aucune idée de la richesse, de la finesse de ce produit.

« Rappelle-toi le foie gras, il y a 30 ans », lance Sébastien Fauré, grand amateur de sirop et homme d’affaires voué à la reconnaissance du produit sur la scène locale et internationale. « En général, les gens ne savaient pas trop ce que c’était et bien des gens ne pouvaient l’apprécier. Pourtant, c’était un produit d’exception. Aujourd’hui, la question ne se pose plus. »

Fauré veut qu’il arrive la même chose avec le sirop, qu’on comprenne sa valeur, qu’on la développe, qu’on la peaufine.

Même au Québec, on trouve trop souvent sur le marché des produits de qualité médiocre, du sirop vendu en vrac, embouteillé loin de l’érablière, dont on ne sait pas trop par qui ni où il a été fabriqué. À part les étiquettes « clair » ou « médium », rien ne nous parle du sirop offert en épicerie. Il y a le nom du producteur inscrit sur la conserve. Parfois. C’est tout.

Trouver un vrai bon sirop qui se démarque est un défi que l’on relève à l’aveugle, appuyé sur de bons contacts et beaucoup de chance. On habite au Québec, où quelque 13 500 acériculteurs ont produit environ 120 millions de livres de sirop et de sucre d’érable l’an dernier, et il y a infiniment plus de vendeurs, goûteurs, journalistes et communicateurs capables de nous parler dans les moindres détails des qualités d’une huile d’olive ou d’un champagne ! Vous êtes déjà tombé sur quelqu’un capable de vous parler de sirop, vous, à votre épicerie fine préférée ? Ça n’arrive pas souvent…

En fait, la conversation qu’on a le plus souvent quand on parle de sirop, c’est sur son origine, sur le fait qu’il vient de chez un voisin ou une tante. C’est charmant et rassurant, puisqu’on ne veut pas que le sirop soit anonyme, sans racine.

Mais est-ce vraiment ainsi qu’on veut commercialiser un produit d’une telle envergure ? Un produit utilisé par les plus grands chefs du monde – je me rappellerai jusqu’à ma mort un dessert au yaourt de lait de chèvre, poire et érable du très grand catalan Jordi Roca ? Un produit déjà immensément populaire bien au-delà de nos frontières, et cela, même s’il est peu et mal connu ?

« Il faut absolument aider le sirop d’érable à gagner ses lettres de noblesse », affirme Sébastien Fauré, chef de la direction de l’agence de publicité Bleu Blanc Rouge et membre du conseil d’administration de la Commanderie du sirop d’érable, un organisme qui s’est donné comme mandat de mettre le sirop sur la carte gastronomique mondiale.

« C’est un produit du terroir qui mérite d’être reconnu, exceptionnel », affirme-t-il.

Pour cela, la Commanderie s’est associée à l’expertise en vin de la SAQ et aux connaissances des gens de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie, histoire de lancer il y a quelques années un concours du meilleur sirop d’érable québécois. Avec une méthode et une grille d’analyse calquées sur celles utilisées pour évaluer les vins – longueur en bouche, robe, nez, saveurs, etc. –, un jury détermine chaque année quels sont les meilleurs sirops du Québec. Cette année, c’est le sirop de l’érablière Brunelle, à Bromont, qui a gagné. Une érablière hyper traditionnelle. « C’est un hobby familial », explique Alain Brunelle, président de l’entreprise de cette famille qui compte 134 membres ! Les Brunelle vendent leur sirop à la cabane et au IGA de Bromont. Parmi les finalistes, il y avait aussi la Cabane du Pic Bois, l’érablière Ca-Sé-Al et la sucrerie Elolali. Trois d’entre elles sont dans la région de Bromont. Est-ce dire que le terroir y est pour quelque chose ?

On est en train d’explorer tout cela.

Il se peut que la technique de préparation y soit pour beaucoup. La qualité des bactéries trouvées sur les troncs d’arbre et tout l’équipement de fabrication. On n’est qu’au début du défrichage. La Commanderie a d’ailleurs un fonds pour encourager la recherche sur la production.

Il y a trois ans, l’homme d’affaires Pierre Somers, un des fondateurs de la Commanderie, m’avait expliqué que les petits producteurs associés dans le projet s’inspiraient de la Bourgogne, avec ses systèmes d’appellation et ses classifications pour le vin. Aujourd’hui, le projet s’est élargi, s’est associé à la Fédération des producteurs acéricoles du Québec et on espère que le sirop s’imposera avec ses propres normes de qualité, ses produits d’exception, ses classifications. Comme le vin. Comme le vinaigre balsamique. Mais en merveilleusement plus sucré.

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