La chute d’un (grand) champion

Le Britannique Chris Froome concède la victoire après avoir fléchi dans les Pyrénées.

Chris Froome n’a cédé que 53 secondes à son coéquipier Geraint Thomas dans les lacets du col du Portet, à 2215 mètres d’altitude. Au bout d’un tel effort, ce n’est presque rien. Un fléchissement.

Mais pour le Britannique de 33 ans, ces misérables 53 secondes équivalent à la fin d’un rêve. Celui de rejoindre les Anquetil, Merckx, Hinault et Induraín dans le cercle des quintuples vainqueurs du Tour de France. L’occasion se représentera-t-elle ?

En s’alignant sur le Giro, qu’il a remporté de façon spectaculaire en mai, il n’avait pas choisi la voie facile. Aucun cycliste n’avait réussi le doublé avec le Tour depuis Marco Pantani en 1998.

En filigrane, Froome bataillait avec l’Union cycliste internationale et l’Agence mondiale antidopage au sujet d’un contrôle suspect au salbutamol, son médicament pour l’asthme. Si bien que sa participation au Tour n’a été confirmée que quatre jours avant le départ.

Conspué par le public, Chris Froome a dû composer avec des spectateurs agressifs dans les cols. Certains l’ont arrosé, lui ont craché dessus. Un autre a tenté de l’accrocher dans la montée de l’Alpe d’Huez.

Victime d’une chute à la première étape, il a vu Thomas prendre l’ascendant au sein de la formation Sky. Chaque jour, les observateurs supputaient sur la loyauté de l’un et de l’autre à l’approche de l’étape clé d’hier, un court parcours inédit de 65 km qui se résumait en un enchaînement de trois grands cols.

En dépit de son palmarès, Froome n’est pas aimé, pour ne pas dire qu’il est détesté des aficionados de la pédale. Ceux-ci lui reprochent son style de moissonneuse-batteuse, sa tête constamment baissée vers son capteur de puissance, sa dépendance apparente à l’oreillette, la puissance de son équipe, sa façon prévisible de courir. Bref, son manque de panache.

Son test suspect au Ventolin a achevé de ternir sa réputation. Même en Grande-Bretagne, on lui préfère nettement Bradley Wiggins, son prédécesseur chez Sky.

Placide, le natif du Kenya ne s’est presque jamais fâché, répondant calmement aux questions, parfois en français, langue qu’il ne maîtrise pas bien. Il a même réussi à se contenir quand un gendarme français, le méprenant pour un spectateur sous son imper gris, l’a fait tomber alors qu’il redescendait le col après l’étape hier…

« Un coussin confortable »

Plus tôt, presque au même endroit , Froome a vacillé une première fois quand le Slovène Primož Roglić a accéléré à trois kilomètres du sommet. Le Néerlandais Tom Dumoulin en a remis une couche un kilomètre plus loin, se débarrassant pour de bon de l’homme qui lui avait coûté un deuxième Giro consécutif au printemps.

Dans la roue de son coéquipier colombien Egan Bernal, insolent de facilité du haut de ses 21 ans, Froome s’est résigné sans casser. La langue tirée, il ne lui restait plus qu’à limiter les dégâts.

Le champion sortant a donc cédé moins d’une minute. Désormais troisième au général, il pointe à 2 min 31 s de Thomas, qui a consolidé sa mainmise sur le maillot jaune en terminant troisième de l’étape. Avec une seule autre étape de montagne dans les Pyrénées (demain) et un contre-la-montre de 35 km (samedi) au programme, sa priorité de près deux minutes sur Dumoulin (2e) paraît insurmontable.

« C’est un coussin assez confortable », a acquiescé Froome, qui a promis de se mettre au service de Thomas, dont il ne doute plus du triomphe dimanche sur les Champs-Élysées.

« Maintenant, on doit seulement s’occuper de lui. J’ai gagné les trois derniers grands tours et G a fait un sans-faute cette année. Il mérite pleinement d’être en jaune. On croise les doigts pour qu’il finisse le travail jusqu’à Paris. »

Magnanime, Froome a concédé la victoire comme un champion. Un grand champion.

Le retour de Quintana

Toujours à contretemps depuis le début de ce Tour de France, l’équipe Movistar a enfin frappé dans le mille. Parti au pied de la montée du col du Portet, Nairo Quintana s’est imposé au sommet, résistant au retour de l’infatigable Dan Martin, qui avait lancé l’offensive. Maintenant cinquième au général, le grimpeur colombien, avec son visage des beaux jours, a remporté sa deuxième étape sur la Grande Boucle, cinq ans après son premier succès. Victime d’une fringale dans la dernière ascension, le Français Romain Bardet a fini à 2 min 35 s, coup fatal à ses chances de monter sur le podium pour une troisième année de suite. Peter Sagan a chuté dans une descente, mais a rallié l’arrivée dans les délais, son maillot vert tout déchiré. Tel qu’on le connaît, il est du genre à gagner aujourd’hui à Pau.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.