Opinions

La complainte masculine

Le professeur de l’Université McGill Richard Shearmur signait dans La Presse une lettre ouverte intitulée « Et les hommes ? » (5 novembre), qui faisait suite à un texte de l’éditorialiste Mario Roy annonçant la tenue d’un panel à Toronto où serait posé la question de la « fin de l’homme ».

Ainsi donc, l’homme serait une espèce en voie de disparition, et menacée par les femmes. J’ai récemment signé une étude sur ce type de discours (« Le discours de la “crise de la masculinité” comme refus de l’égalité entre les sexes », Recherches féministes, 2012), où je rappelle qu’en Occident, les hommes prétendent que les femmes prennent trop de place depuis… la fin du Moyen Âge ! Par exemple, à la fin du XIXe siècle, les hommes se disaient en crise d’identité aux États-Unis, en France et ailleurs alors que les femmes n’avaient ni le droit de voter ni d’être élues, et perdaient tous leurs autres droits quand elles se mariaient. Aujourd’hui, ce discours de la « crise de la masculinité » se fait entendre partout, même dans des pays qui ne peuvent pas être taxés d’être féministes, comme la Russie.

On le comprend alors, ce discours a bien peu à voir avec la réalité des rapports entre les sexes, mais il sert d’autres objectifs : présenter les hommes en victimes et accuser les femmes.

Le collègue Richard Shearmur commet l’erreur si commune de laisser entendre que les hommes ont « de moins en moins accès aux universités », parlant sans doute des étudiants. Mais il devrait savoir que les universités sont encore très majoritairement sous le pouvoir masculin, dans l’administration et surtout dans le corps professoral (et à la tête des Chaires subventionnées). Certes, les femmes y sont majoritaires, peut-être, sur les bancs d’école, dans le secrétariats et les cafétérias, mais là n’est pas le pouvoir. Et quand les jeunes sortent diplôme à la main, les hommes décrocheront généralement des emplois mieux payés que ceux des femmes.

On prétend que les femmes au Québec en mènent large, ou à tout le moins que l’égalité entre les sexes est une « valeur québécoise », mais qui est aux commandes de la société et de ses institutions les plus puissantes ? Au conseil des ministres, à l’Assemblée nationale, sur les conseils d’administration des banques et des grandes compagnies, y compris médiatiques, aux quartiers généraux de la police et de l’armée, à l’université, dans les églises, à la tête des syndicats et dans les bandes criminalisées, ce sont des hommes encore et toujours, seuls ou en grande majorité. Les sports les plus payants et les plus prestigieux sont masculins.

Et quand l’homme n’est pas un dirigeant ou un sportif, il dispose en général de plus d’argent que la femme, et donc de plus de marge de manoeuvre dans le marché de la consommation, et d’une meilleure pension à la fin de ses jours. L’homme n’a généralement pas peur d’être harcelé ou agressé par une femme dans la rue, au travail, chez lui… Il y a bien quelques femmes violentes, certes, mais quand on compte à la morgue les victimes de « drames conjugaux », on réalise année après année que l’homme tue et que la femme est tuée.

Bref, identifier quelques problèmes qui touchent avant tout les hommes est une chose, prétendre que les avancées des femmes menacent les hommes au point de les rendre « obsolètes », pour reprendre le terme du professeur Richard Shearmur, est absurde. À moins que cette complainte masculine ne serve des intérêts bien précis : discréditer les femmes et les féministes et attirer la pitié sur les hommes, pour faire oublier qu’ils constituent encore le sexe dominant et privilégié.

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