Soccer

« Tu dois comprendre ce qu’est l’échec »

Ali Gerba

Par la nature de leur position, les attaquants sont constamment sous la loupe et, plus que n’importe qui, jugés par le biais des statistiques. Dans cette quête de buts, ils doivent cependant apprendre à vivre avec différentes gradations d’échec et tourner la page après une occasion en or ratée, un match transparent, voire une mauvaise saison.

« J’ai vécu avec l’échec toute ma carrière et j’ai dû m’ajuster à ça tous les jours. Dans une équipe, les deux positions ingrates sont le gardien et l’attaquant. Très jeune, tu dois comprendre ce qu’est l’échec. Cela ne veut pas nécessairement dire que tu n’es pas bon, explique l’ancien numéro 9 de l’Impact de Montréal Ali Gerba, en entrevue. C’est correct de rater un but, mais plus tu vas l’essayer et plus le geste va être naturel. »

Gerba, 34 ans, arrive à l’heure au rendez-vous fixé dans un restaurant de la Petite Italie. Grand sourire, il s’assoit et démontre rapidement que la passion du ballon rond ne l’a pas quitté même s’il n’a plus joué depuis la saison 2011. Pendant près de trois heures, le retraité enchaîne les anecdotes, se remémore quelques moments marquants, mais analyse aussi la situation du soccer au Québec et au Canada. Plus que tout, il a envie de partager avec les plus jeunes son expérience faite de hauts et de bas. Il abordera son parcours et l’état d’esprit « de chasseur » des attaquants lors de la conférence Fail Camp, demain après-midi, à Montréal.

« Je n’ai jamais vu un joueur offensif qui est un agneau et doux. Il doit se bâtir une force à l’intérieur, parce que s’il rate une occasion, tout le monde va l’écraser, précise-t-il. Quand je vois des attaquants trop gentils, je me dis qu’ils vont se faire manger par le soccer. Un attaquant doit avoir une force de caractère incroyable et ça vient par le fait d’avoir connu des échecs. Il doit se dire : “J’ai manqué deux buts aujourd’hui ou ça fait quelques mois que je n’ai pas marqué. Pas de problème, dès que je vais marquer, ça va se replacer.” »

Sans en faire l’annonce, Gerba s’est éloigné des terrains après une mésentente avec l’Impact, en 2012. Toujours sous contrat, il n’avait pas été invité à participer à l’aventure en MLS. 

« Pour moi, ce n’était pas un échec. Ce n’était plus quelque chose qui relevait de ma capacité. »

— Ali Gerba, ancien attaquant de l’Impact

Durant cette période, l’idée d’une académie consacrée au soccer, qui germait depuis quelques années, a pris de plus en plus de place dans son esprit et dans son agenda. Des surfaces de réparation au monde des affaires, il n’y a qu’un pas qu’il a franchi avec enthousiasme. Il faut dire qu’il ne manquait pas de modèles.

« Ma mère a un MBA et mon père, un doctorat en communication. La plupart des gens ne le savent pas et sont surpris. Ils me disent : “Pour un athlète, tu es capable de bien t’exprimer, tu es capable de bien parler, depuis combien de temps es-tu dans les affaires ?” Je me suis toujours intéressé aux affaires. Je négociais les contrats et j’aimais être impliqué, souligne-t-il, avant d’établir la comparaison entre les deux mondes. Être athlète m’a amené à être un homme d’affaires. C’est la même chose. Par exemple, tout le monde va te dire quoi faire, mais c’est ta vision qui doit primer. J’ai la même attitude qu’avant. Aujourd’hui, je glisse, je tombe, mais je vais faire ma reprise de volée tôt ou tard. Dans les deux domaines, tu dois faire tes preuves chaque jour, car les autres vont douter de ta personne. »

POUR L’ÉLITE

Son projet est ambitieux : loin des tentations de la grande ville, il espère bâtir, à Saint-Georges de Beauce, un complexe et une académie contribuant à la formation de joueurs d’élite. Son rêve ultime serait de voir quelques-uns de ses futurs protégés participer à une qualification canadienne à la Coupe du monde.

« Ça fait quelque temps que j’ai un accord avec la Ville, mais c’est au niveau financier qu’on a besoin de finaliser les ententes, précise-t-il. Ce n’était pas une petite affaire, c’est un projet de près de 20 millions. Il fallait que je trouve des partenaires. La plupart des gens disent qu’ils vont aider, mais quand tu amènes quelque chose de concret, il y a des déceptions et beaucoup d’échecs. Ce projet est plus gros que ma personne. Peut-être que je ne serai pas là pour en voir le produit, mais j’ai voulu mener par l’exemple plutôt que de seulement critiquer [l’état du soccer au Canada]. À part l’Impact, et je remercie Joey Saputo qui m’a poussé à être joueur, il n’y a aucune organisation qui montre aux jeunes comment gérer leur carrière. Il n’y a pas beaucoup de voies au Québec pour faire une carrière. »

RETOUR AU STADE SAPUTO

Malgré quelques différends sur le plan personnel, Gerba a toujours été un grand partisan de l’Impact. « Je suis un fan de soccer, j’adore ma ville, mon pays et je veux que l’Impact fasse mieux. C’est bien pour le foot au Québec », dit-il. Avec une sortie loin d’être idéale et le deuil d’une carrière à faire, celui qui a inscrit 15 buts avec la sélection canadienne a attendu quelques années avant de remettre les pieds au stade Saputo. L’an dernier, il s’y est notamment rendu avec son ex-coéquipier Reda Agourram. « Il fallait que je fasse le vide de tout ce qui s’était passé, faire la transition entre la carrière d’athlète et d’homme d’affaires. J’ai encore plein d’amis comme Patrice [Bernier], Hassoun [Camara], Evan [Bush] qui jouent. » 

Évidemment, il ne peut pas s’empêcher de jeter un regard expert sur les différents attaquants qui se sont succédé depuis cinq ans. Il a pu rencontrer Didier Drogba, l’un de ses modèles. Il est également très élogieux à l’égard d’Anthony Jackson-Hamel, auteur de son premier but en MLS, le 12 mars dernier. « Tu peux voir qu’il a soif de buts et qu’il a cette fibre de chasseur. Quand tu es un dépisteur ou que tu connais bien la position, tu vois tout de suite que cette soif va grossir. »

Là encore, il ne serait pas contre l’idée de faire part de son expérience à son cadet, échanger sur ses réussites, mais aussi ses échecs…

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