Maison intergénérationnelle

Chez nous et à chacun son logis

Laissera-t-on grand-mère vivre seule dans son logement ? Grand-père vieillir en centre d’hébergement ? Les enfants et petits-enfants se contenter d’un petit logement de deux pièces ? Voilà autant de questions qui préoccupent les familles d'aujourd'hui. En quête de solutions, certaines choisissent d’unir leurs forces en partageant un toit.

Si la cohabitation entre les générations paraît nouvelle aux yeux des plus jeunes, elle était autrefois inscrite dans les mœurs québécoises : les familles prenaient naturellement en charge les grands-parents qui coulaient leurs derniers jours aux côtés de leur progéniture. Devant les enjeux actuels du vieillissement de la population, de l’accession à la propriété et de l’endettement, un retour vers les valeurs d’entraide intergénérationnelle émerge à travers un nouveau concept d’habitation.

La maison intergénérationnelle permet à une famille de cohabiter avec ses proches parents dans un domicile composé de deux logements indépendants. Au Québec, ce type d’habitation est officiellement autorisé depuis 1998 à la suite de la modification de la Loi de l’aménagement et de l’urbanisme. Depuis, plusieurs municipalités ont assoupli leurs règlements afin de permettre aux familles de transformer leur résidence en maison intergénérationnelle ou de s’en construire une.

Proches parents 

L’un des principaux attraits reconnus de ce modèle d’habitation concerne l’hébergement des personnes âgées qui représenteront près du quart de la population dès 2036, selon les prévisions de Statistique Canada. « Au Québec, l’offre d’hébergement est limitée, le privé coûte cher. Les familles cherchent des solutions pour les aînés qui souhaitent rester dans leur quartier et à domicile le plus longtemps possible. La cohabitation vient répondre à ce besoin », observe la professeure au département d’anthropologie de l’Université Laval Manon Boulianne, qui a réalisé une enquête empirique sur 34 ménages ayant vécu une expérience de cohabitation intergénérationnelle.

La maison intergénérationnelle vient répondre à un autre enjeu actuel, celui de l’accès à la propriété pour les jeunes familles. « Les parents réaménagent leur maison devenue trop grande et offrent de l’aide à leur progéniture qui, autrement, n’aurait pas pu se permettre d’avoir l’équivalent au même prix sur le marché », explique Mme Boulianne. Loger à la même adresse comporte par ailleurs de nombreux avantages sur le plan affectif : la proximité, le sentiment de sécurité et l’entraide comptent parmi les facteurs les plus souvent cités par les familles de l’enquête. « Les parents âgés sont rassurés de savoir que leur famille veille sur eux. Ils s’habituent aux bruits, aux habitudes de déplacement. À l’inverse, les jeunes adultes profitent de cette surveillance discrète. Sans compter les nombreux services qu’ils échangent », note le sociologue Guillaume Gagnon, qui a rédigé son mémoire de maîtrise sur la cohabitation intergénérationnelle en plex à Montréal. Bien qu’elle représente un investissement majeur de départ, l’habitation intergénérationnelle offre généralement la possibilité de faire des économies en raison du partage des dépenses.

Avantageuses, mais marginales 

Malgré un engouement certain, les maisons intergénérationnelles demeurent marginales. Selon les statistiques résidentielles du système Centris, 903 maisons intergénérationnelles ont été vendues en 2013 au Québec, soit 1,9 % de l’ensemble des propriétés. Les Laurentides, la Montérégie et Lanaudière sont parmi les régions les plus représentées. Au Canada, ce type de maison représentait 2,7 % des ménages en 2011, selon Statistique Canada. La route vers la cohabitation intergénérationnelle est parfois semée d’obstacles, à commencer par les règlements de zonage des municipalités qui n’autorisent pas les maisons bifamiliales. « Des familles réussissent parfois à faire modifier leur zonage, mais le processus est long. Des constructeurs offrent maintenant quelques modèles de maison. Plusieurs familles réalisent aussi leurs propres plans et optent pour l’autoconstruction. Ceux qui en viennent à bout racontent leur expérience les yeux brillants de fierté », raconte Manon Boulianne.

Le coût des maisons est un autre facteur qui freine le marché de l’intergénérationnel, sans compter que les résidences se vendent moins bien – les règlements municipaux ne permettent habituellement pas de changer leur vocation. Quant aux appréhensions évoquées par les familles, elles concernent principalement la préservation de l’intimité, sans que cela ne se traduise forcément dans la réalité, a constaté Guillaume Gagnon. « Autrement, il y avait des petits éléments irritants du quotidien qui se règlent assez rapidement lorsque les familles ont un dialogue bien ouvert », énonce-t-il.

Après la cohabitation, l’aide naturelle

Si la cohabitation est parfois rompue simplement en raison de nouveaux projets, elle est bien souvent bousculée par la maladie, la perte d’autonomie ou la mort. « Certaines personnes se lancent dans l’aventure justement parce qu’elles souhaitent accompagner leurs parents jusqu’à la fin. D’autres n’avaient pas prévu le coup. Avant de cohabiter, il faut prendre conscience que c’est dans l’ordre des choses, que ça va arriver. Les parents vieillissent et le choix de devenir proche aidant va tôt ou tard se présenter », souligne Manon Boulianne, qui se positionne en faveur d’un programme d’aide gouvernementale qui faciliterait l’accès des familles à la cohabitation intergénérationnelle. « Il ne faudrait pas que ça devienne une obligation pour les Québécois. Cette formule fonctionne bien lorsque les gens sont convaincus et y adhèrent de plein gré. Comme les autres modalités de logement, elle convient à un certain nombre de familles qui sont déjà proches, mais ce n’est pas une panacée », souligne-t-elle.

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