Éditorial : PUBLICITÉS BANNIES PAR LA STM

Cachez ce porc que je ne saurais voir

Pour la deuxième fois en moins d’un an, la Société de transport de Montréal (STM) a banni des publicités jugées choquantes. Ce geste met encore une fois en lumière l’importante zone grise qui existe dans l’interprétation de ce qui constitue un message acceptable – ou pas – aux yeux de la société.

La campagne « AniMal », de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux de Montréal (SPCA), vise à sensibiliser le public aux conditions de vie des animaux d’élevage. L’une des affiches montre un porc à l’air affligé, confiné derrière des barreaux.

Le texte des publicités dénonce la souffrance « cruelle, intolérable et inhumaine » infligée aux bêtes de ferme, laquelle serait pourtant « complètement légale ». La SPCA demande à l’État de réglementer « pour mettre fin à la maltraitance ».

Vrai ou faux ?

La STM a refusé ces publicités en vertu de trois articles du Code canadien des normes de la publicité. En gros, elle accuse la SPCA de : 

– ne pas faire preuve de véracité, clarté et exactitude dans son message, qui comporterait des allégations mensongères ou inexactes ;

– jouer sur les « superstitions et frayeurs » en vue de tromper le public ;

– « déprécier, discréditer et dénigrer » des groupes de personnes et de les exposer au « mépris public ou au ridicule », dans ce cas-ci les éleveurs.

Des arguments difficilement défendables, selon le professeur Benoit Dugay, de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Cet expert en marketing ne cache pas sa désapprobation. « Est-ce que c’est le rôle de la STM de faire la police de la publicité, de faire le censeur ? »

La réponse est non. Transgeco, la filiale commerciale de la STM, semble avoir interprété à sa convenance des articles du Code qui pourraient être appliqués de différentes manières. Une forme de jugement de valeur, où la rectitude politique semble avoir primé.

Une loi à deux vitesses

La SPCA a voulu mettre en lumière le régime à deux vitesses qui prévaut dans le traitement des animaux au Québec depuis l’adoption de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal en 2015. Cette réglementation est venue affirmer que les bêtes sont douées de « sensibilité » et ont des « impératifs biologiques ».

Deux articles de la loi édictent une série de conditions de vie minimales. Les animaux doivent entre autres pouvoir se mouvoir suffisamment (plutôt que d’être confinés dans des espaces restreints) et ne pas être soumis « à un traitement qui [leur] cause des douleurs aiguës ».

Or, ces articles ne s’appliquent pas aux activités d’agriculture pratiquées « selon les règles généralement reconnues ». Les animaux d’élevage en sont exclus. C’est ce trou dans la loi que la SCPA a voulu mettre en lumière dans ses publicités. Pour inciter les partis politiques à aborder cet enjeu pendant la campagne électorale qui commence.

Pousser la note

La SPCA a certainement poussé la note en affirmant que la souffrance infligée aux bêtes de ferme est « totalement légale ». Cette affirmation, très corsée, visait à marquer les esprits.

Mais en n’accordant pas aux animaux d’élevage les mêmes protections qu’aux chats et aux chiens, le gouvernement du Québec vient en effet légitimer certaines de leurs conditions de vie pénibles.

L’industrie agricole a certainement amélioré ses façons de faire au cours des dernières années. Elle est soumise à des codes de conduite rigoureux et à quantité d’inspections. Surtout, aucun éleveur ne souhaite volontairement infliger des souffrances à ses animaux.

La SPCA reconnaît de son côté les impératifs économiques de l’industrie, mais elle estime que l’État devrait rendre obligatoires les codes de conduite qui régissent l’élevage. Elle demande que certaines pratiques précises – comme la castration chirurgicale des porcs, veaux et agneaux ou l’amputation des becs de poule sans anesthésie – soient désormais encadrées par la loi, comme c’est le cas ailleurs dans le monde.

« On ferait de la castration à froid sur des chiens à la SPCA et les gens seraient choqués, nous a illustré Élise Desaulniers, directrice générale de la SPCA de Montréal. Peut-être qu’on est juste mûrs, au Québec, pour avoir une conversation sur la façon dont les animaux de ferme sont traités. »

La SPCA se défend de dénigrer les agriculteurs dans sa campagne. Elle soutient ne pas viser la profession, mais plutôt certaines de ses méthodes.

Effet réussi

Les publicités de la SPCA ont été conçues par l’agence upperkut, celle-là même qui a concocté la célèbre campagne de Valérie Plante, « l’homme de la situation », pendant la dernière course électorale à Montréal. Ces affiches avaient fait exploser la notoriété d’une candidate alors très peu connue du public.

Même si elles ont été bannies par la STM, les publicités de la SPCA ont été placardées à une dizaine d’endroits à Montréal depuis le 5 août dans le cadre d’une campagne d’affichage « sauvage ». Les normes canadiennes de la publicité n’ont reçu aucune plainte.

Si une plainte était déposée, elle serait étudiée par un groupe de sept experts qui demanderaient à la SPCA d’étayer toutes ses affirmations avec des preuves. L’organisation assure avoir fait valider sa campagne par plusieurs avocats.

Quoi qu’il en soit, la SPCA doit se réjouir de la controverse récente. La visibilité de son minuscule placement publicitaire de 3000 $ a été décuplée grâce à toute l’attention médiatique générée ces derniers jours – un effet sans doute inverse à celui qui était recherché par la STM.

Après les Grands Ballets…

Onze mois avant de refuser la campagne de la SPCA, la STM avait aussi banni des affiches des Grands Ballets canadiens de Montréal. Les magnifiques publicités pour le spectacle Stabat Mater montraient une danseuse étoile, qui incarnait la Sainte Vierge, maculée de sang. La STM avait jugé que cette image incitait à la violence, une interprétation qui avait soulevé un certain tollé.

Loin de PETA

La campagne de la SPCA apparaît presque timide lorsqu’on la compare à celles menées par l’organisme américain People for the Ethical Treatment of Animals (PETA), qui adopte depuis des années une imagerie porno-sanglante pour faire passer ses messages.

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