Chronique

La pire série politique de tous les temps ?

House of Cards est la pire émission à traiter de politique américaine depuis les débuts de la télévision. Excusez du peu. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le Washington Post, qui s’y connaît un brin en la matière.

Hier, le vénérable quotidien publiait une chronique du politologue Seth Masket, qui reproche à l’émission phare de Netflix sa vision simpliste du milieu politique. House of Cards n’est pas plus réaliste dans son illustration du processus de nomination des candidats présidentiels que dans le choix des politiques qu’ils privilégient, estime cet ancien rédacteur de la Maison-Blanche.

Selon Seth Masket, House of Cards dépeint de manière générale les gens travaillant à Washington comme des abrutis et méprise l’idée même de l’ambition, en l’assimilant aux travers de son personnage principal, le président Frank Underwood (Kevin Spacey). « Si vous voulez comprendre quoi que ce soit à la politique américaine, regardez n’importe quoi d’autre », conclut le professeur. (Ou inscrivez-vous à l’un de mes cours à l’Université de Denver, aurait-il pu ajouter…)

Par où commencer ? Peut-être par le fait, incontestable, que House of Cards n’a pas et n’a jamais prétendu avoir une mission d’éducation populaire. Ce n’est pas une émission d’affaires publiques de la chaîne publique PBS, ni un documentaire historique de CNN. Ce n’est pas davantage une série de fiction inspirée par le parcours politique d’un personnage véritable.

House of Cards est une satire politique. Un divertissement hautement contagieux, d’un cynisme redoutable. C’est une fiction, qui s’affiche comme telle. Je comprends qu’un ancien employé de la Maison-Blanche ne s’y reconnaisse pas, et puisse même être vexé par l’image qu’on lui renvoie de lui-même, des coulisses du pouvoir, et de la politique en général. Je ne me reconnaissais pas non plus dans le personnage de Zoe Barnes, qui ne faisait pas vraiment honneur à la profession de journaliste.

C’est vrai : House of Cards n’est pas un monument de réalisme, de subtilité et de crédibilité. À ce chapitre, sa troisième saison, que j’ai dévorée comme bien d’autres depuis qu’elle a été rendue disponible le 27 février, est moins ridicule que la précédente. Un politicien qui devient président des États-Unis à force de magouilles, de trahisons et de jeux de coulisses, passe encore. Mais en balançant une journaliste devant un wagon de métro ? Pousse, mais pousse égal, comme dirait ma mère.

Non, House of Cards n’est pas l’antidote tant attendu au cynisme ambiant de la population vis-à-vis de la classe politique. Frank Underwood n’est pas du type à redonner espoir dans l’espèce humaine, même si cette nouvelle saison nous le présente sous un angle moins obtus et archétypal, avec quelques nuances au monolithe machiavélique des débuts.

Vendredi, avant même la charge du Washington Post – qui s’y connaît non seulement en matière de politique, mais de magouilles (ses célèbres reporters Carl Bernstein et Bob Woodward ont déterré le scandale de Watergate) –, un autre quotidien, USA Today, décrétait que la troisième saison de House of Cards était un véritable désastre.

Le critique Michael Wolff a surtout reproché à la série sa soudaine pénurie de rebondissements et de revirements rocambolesques. Alors que c’est justement cette sobriété, à mon sens, qui fait la force de cette troisième saison.

Le journaliste du USA Today regrette que Frank Underwood soit devenu une sorte de gauchiste attendrissant, voulant répandre le Bien, et que les auteurs se soient éloignés du ton plus loufoque de la série originale britannique.

Ou bien mon anglais est déficient, ou nous n’avons pas vu la même série. Contrairement à mes confrères, je trouve que malgré ses premiers épisodes plus laborieux, la troisième saison de House of Cards est supérieure à la deuxième qui, à force de multiplier les ressorts dramatiques, a failli me faire abdiquer. Ce qui était une satire amusante s’est transformé en étude psychologique fascinante.

D’accord, House of Cards n’est pas The West Wing, série écrite par Aaron Sorkin, qui proposait une vision moins cynique de la Maison-Blanche avec à sa tête un président démocrate (inspiré par Bill Clinton). Mais Beau Willimon, 37 ans, l’auteur principal de la série et un ancien stagiaire de Hillary Clinton, propose une intrigue autrement plus divertissante.

Une série sur les dérives de l’ambition, l’absence de scrupules, la cruauté de l’homme, ce grand méchant loup, mais aussi sur la place des femmes en politique – à l’avant et à l’arrière-plan –, les aléas du couple, la corruption du pouvoir et le sentiment de toute-puissance des Américains.

Frank Underwood est toujours le même homme méprisable, vénal, amoral, prêt à tout pour gravir les échelons, quitte à écraser son prochain et même ses proches. L’antihéros télévisuel le plus marquant de la décennie.

Ce sociopathe est toujours aussi sardonique en aparté. Il ne s’est pas soudain découvert une âme progressiste. Il se magasine un legs, et s’imagine pour la postérité en FDR nouveau genre, avec à ses côtés son Eleanor.

Il a le visage plus crispé que jamais, dans un rictus permanent. Sa silhouette laisse deviner qu’il n’a plus le temps de faire de l’exercice. Il se brouille avec ses collaborateurs dans des accès de colère incessants. Ceux qui l’aiment sincèrement ne courent pas les rues. Le public n’est pas dupe de ses manigances. Son propre parti non plus. La présidence des États-Unis n’est pas une sinécure.

Bien sûr que House of Cards multiplie les invraisemblances. C’est une série de fiction qui n’aspire pas au réalisme. Ce n’est pas du reste pour cette raison qu’on la regarde. Mais bien parce qu’elle explore les zones les plus obscures de la psyché humaine, comme peu d’autres téléséries. Une œuvre à tiroirs qui se déploie de brillante façon et se consomme de manière boulimique. La pire série politique ? Peut-être la meilleure.

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