Parlons guenilles

Lui y connaît ça !

« La mode fait partie de la culture, pourquoi la mettre à part ? Les créateurs de mode travaillent l’image au même titre que les réalisateurs de cinéma. »

Stéphane Leduc, éditeur et rédacteur du magazine Dress to Kill, commissaire et animateur des FMD Rencontres du Festival Mode & Design, enseignant et, pour tout dire, épatant entremetteur de ce qui fait la mode d’ici et du monde entier, m’entretient sur ce ton amène et posé qui le caractérise depuis les premiers souvenirs que j’ai de lui, à l’époque de MusiquePlus, dont il était le VJ le plus élégant. C’était au début des années 90. Il me rappelle qu’avant de devenir l’animateur de Perfecto, il s’était vu confier par la chaîne le large mandat de rendre compte de l’actualité en cinéma, beaux-arts, musique francophone et mode pour l’émission culturelle Fax. « Juste le titre, ça te donne une idée de l’époque », qu’il me dit avec le sourire fendu jusqu’aux oreilles. 

La vie fait parfois bien les choses et le petit trois minutes consacré à la mode aura un tel impact qu’il lui permettra de créer et d’animer une émission complète sur le sujet qui fera de Stéphane Leduc l’autorité en mode qu’il est aujourd’hui.

« À l’époque, les médias s’intéressaient peu à ce milieu, sauf The Gazette et La Presse qui le traitaient dans les pages féminines, et les défilés étaient souvent présentés sur des passerelles dans des centres d’achats », se souvient celui qui, dès qu’il en aura l’occasion, aura envie de présenter la démarche des couturiers et la mode autrement que par ses diktats et autres règles sur la longueur des jupes et les couleurs de la saison.

Pour ceux qui s’en souviennent, en plus d’être aux premières loges et d’assister aux lancements de collections à Milan ou au fameux Triangle d’or du luxe et de la mode à Paris, Stéphane tenait à tout prix à faire découvrir les talents émergents québécois de cette foisonnante période (pensez à Dénommé Vincent, Marie Saint Pierre, Hélène Barbeau et bien d’autres). « Nous avions un truc à l’émission, c’était de dire : après la pause, le défilé Chanel, mais juste avant, allons rencontrer un jeune créateur montréalais, Philippe Dubuc », me précise-t-il. C’était rusé, et attentionné, enfin beaucoup plus que d’affirmer, comme un populaire chroniqueur de mode l’a fait il y a quelque temps, que « la mode québécoise n’en vaut pas la peine, attendez la braderie ». Innocent rare…

S’il se déplace moins – « Je fais un voyage minimum par année, pour mon travail » –, le chanceux en a vu et vécu beaucoup, des semaines de la mode. 

« Quel privilège ! En plus, tu as fait des entrevues avec plusieurs grands créateurs, raconte-moi tout », lui dis-je, suppliante. « J’ai été chanceux, quand j’ai commencé, il n’y avait pas de blogueurs ni de médias asiatiques. Être un francophone québécois était une curiosité et me donnait des accès. En plus, on découvrait les Canadiens, certains top-modèles étaient des Canadiennes, comme Linda Evangelista et Yasmeen Ghauri, une fille de Montréal, alors ça ouvrait des portes. »

Bon timing, en effet. « Et c’est quoi, l’ambiance ? C’est aussi fou que ce que l’on imagine ? Raconte-moi tout », lui dis-je, achalante. Il se lance : « C’est certain que tu peux avoir l’impression d’être dans un monde parallèle, avec des moments surréalistes. » « Mais autour de toi, dans la salle, il y a des moyens spécimens, non ? », que je lui demande, encore plus énervante. Stéphane rit : « C’est certain, il y a de tout, des visages boursouflés d’injections – étrangement, on finit par s’y habituer – et de beaux excentriques. La clientèle russe, rutilante, et l’asiatique, elle aussi très opulente… » Une petite pause et il enchaîne : « Tous ces gens y sont, mais une grande majorité a un sens de l’élégance absolu, des gens qui, bien qu’en portant des choses très classiques, s’expriment par le vêtement et sont tous beaux dans leur façon d’être. »

Stéphane Leduc a assisté à la naissance du pantalon taille extra-basse, quelque part dans un hangar à Londres : Alexander McQueen, prodigue et illuminé, y présentait son troisième défilé. Un choc. Il ne croit pas qu’une telle proposition tiendra la route, et pourtant… « À partir de là, je n’ai plus critiqué la mode de la même façon. » Il a vu in situ la consécration d’Ève Salvail au défilé de Jean Paul Gaultier. « Un mur blanc de flashs de caméras », se remémore-t-il. « Comment on s’habille, sachant que l’on aura un entretien avec un grand maître de la couture ? » Ma question n’est pas si nounoune. « Sans blague, j’essayais de correspondre un peu à leur propre esthétique, un veston rouge pour Christian Lacroix, du noir pour Karl Lagerfeld, par exemple. »

Ah ben r’garde donc si c’est fin ! S’il te plaît, écris tes souvenirs de mode, Stéphane.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.