Chronique

Scène d’horreur,
doigt d’honneur

C’est un fait malheureusement trop avéré : il faut souvent un drame, une catastrophe et des morts pour que nos élus corrigent des situations dangereuses connues et dénoncées par les spécialistes depuis des années.

La mort, lundi matin, d’une jeune femme en vélo rue Saint-Denis ne vient que confirmer, tragiquement, cet état de fait. Suffit de se promener dans les rues de Montréal pendant quelques heures pour constater que la cohabitation auto-vélo est vraiment problématique. En fait, toute forme de cohabitation est pénible dans les rues de Montréal : auto-vélo, vélo-piéton, piéton-auto, ce à quoi j’ajouterais les taxis, les bus et les camions de livraison, tous dans une catégorie de véhicules à part.

Comme d’habitude, à mort absurde, réaction politique intempestive. Les élus montréalais ont réclamé à l’unanimité des améliorations au code de la route et le nouveau ministre des Transports, Robert Poëti, a promis dans les heures suivantes d’y donner suite.

Tant mieux, évidemment, si on améliore la sécurité des cyclistes. Au moins, cette jeune femme ne sera pas morte totalement en vain.

Cela dit, le gouvernement du Québec peut-il légiférer contre l’impatience ou la goujaterie des automobilistes convaincus que les voies publiques leur appartiennent ou pour l’instinct de survie défaillant de cyclistes insouciants ?

Rue Saint-Urbain direction sud, mardi matin, sous le viaduc Van Horne (portion de rue en pente où les autos roulent trop vite, tellement que les flics du SPVM ont fait de la sortie du viaduc une de leurs « trappes à vitesse » préférées en face de l’école primaire !). L’endroit est sombre, étroit, achalandé, mais il y a une belle piste cyclable protégée par un épais muret de ciment, côté est. Et pourtant…

Dans mon auto, j’écoutais justement, consterné, cette histoire de cycliste écrasée par un camion non loin de là, rue Saint-Denis, lorsque j’ai dû ralentir brusquement parce que, devant, un jeune homme à vélo, mains dans les poches et houppe au vent, zigzaguait dangereusement près des voitures pour éviter les trous de la chaussée. Crisse, en v’là un qui a vraiment rien compris ! me suis-je entendu éructer dans mon Volks. Les Haïtiens ont une expression dont ils ont le secret pour ce genre de comportement : ce gars-là fait une réclame pour la mort !

(Je précise que rien, vraiment rien, ne laisse croire que l’accident tragique de la rue Saint-Denis est dû à l’insouciance de la victime et je ne fais aucun lien avec ce que je viens de raconter.)

Parlant de réclame (pour la bêtise, cette fois), vous avez vu cette vidéo sur La Presse +, dans le numéro de mercredi, de cet autre cycliste (qui se filme, en plus, question de nous montrer ses exploits !), roulant à fond de train au milieu de la chaussée, sous un viaduc ?

Un automobiliste arrive derrière, pas très vite, pas agressif. Il klaxonne (mollement) pour signaler sa présence. Le cycliste lui fait alors un doigt d’honneur et poursuit son chemin. (C’est à croire que ce geste est enseigné sur les boîtes de céréales dès la petite enfance tellement il est banalisé au Québec !)

L’automobiliste, qui est un employé municipal dans une petite voiture rouge Montréal, le rattrape, baisse sa vitre et lui dit, gentiment, que sa conduite est dangereuse et qu’il devrait emprunter, à cet endroit, le trottoir.

Je présume que l’employé municipal avait en tête, comme tant d’autres, le drame de la rue Saint-Denis et qu’il voulait seulement éviter un autre drame semblable. Outré, le cycliste au doigt d’honneur lui répond qu’il n’a pas le droit de circuler sur le trottoir, que c’est contre les règlements municipaux !

Citoyen modèle, qui distribue les « fingers » avec un volontarisme juvénile et qui trompe la mort sous les viaducs, mais qui se défend bien d’enfreindre les règlements municipaux ! Voyons donc, pas le droit de rouler sur les trottoirs ! Par contre, la rue m’appartient, même si c’est super dangereux, même si les rues se transforment, sous les viaducs, en entonnoirs mortels. J’ai le droit, point !

Mon père, homme sage et prudent de 80 ans qui a élevé six enfants, dont quatre garçons baveux, intrépides et… cyclistes ou motocyclistes à leurs heures, avait un jour lancé cette réplique à un de mes frangins, téméraire du vélo, qui prétendait faire la loi dans les rues de notre bled : « Tu vas arriver en avance à tes funérailles, mais au moins, tu seras mort dans ton droit. »

On voudrait tous que les rues de Montréal soient parfaitement sécuritaires pour la cohabitation auto-vélo, mais ce n’est malheureusement pas le cas. On doit y travailler, mais en attendant, ne serait-il pas plus simple (et sécuritaire) de descendre et de marcher à côté de la bécane sur le trottoir pour traverser les 20, 25 mètres de chaussée étroite, sombre et achalandée ?

Personne n’arrivera en retard à cause de ça. Et surtout, personne n’arrivera en avance où il ne veut vraiment pas aller.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.