COMMANDITÉ

Beyries : le bonheur à l’oreille

Elle s’appelle Amélie, elle a 37 ans. Elle ne lit pas la musique, mais compose divinement. En entendant ses chansons, on a comme l’impression qu’on les attendait. Comme si on entrait au port, on a le sentiment que ces notes devaient exister.

Si vous ignorez encore qui est Beyries (prononcez BÉRISSE, c’est d’origine basque), de grâce, allez sur iTunes et gâtez-vous. L’écoute en boucle n’est pas un crime et ne rend pas sourd. Cela dit, il est très possible que son visage et sa jeune œuvre vous soient étrangers, tout simplement parce qu’avant 2016, Beyries n’était auteure-compositrice-interprète que sous la douche et dans son salon.

Elle a travaillé dans les restos, connu une carrière effrénée en communication et en production, s’est beaucoup donnée pour monter haut puis bang ! D’un coup, tout s’est arrêté. La gifle cinglante du cancer, à 28 ans. Une saloperie au sein, agressive à part ça. Puis, une récidive un an et demi plus tard, une opération pour couper l’herbe sous le pied de la faucheuse. Et pour ajouter à ça, une dépression.

« Ce qui s’était installé, c’était la peur de mourir, la peur que ça revienne. »

Assise juste à côté de la porte du studio photo, dans un couloir dépouillé de tout artifice, Amélie nomme les choses. « C’est difficile de perdre la santé physique, mais tant que t’as ton humour, ton enthousiasme, tu peux soulever des montagnes. Quand t’as plus ça, c’est tough. » Je respire, elle poursuit. « C’est comme si le cancer m’avait complètement déshabillée. Il a fallu que je me reconstruise. J’ai perdu mes cheveux, j’étais méconnaissable. Financièrement, j’ai aussi été atteinte, moi qui avais toujours bien gagné ma vie. Quand la banque a commencé à m’appeler pour me demander comment on allait s’arranger, y’a toute cette confiance, cette fierté qui est partie. J’ai perdu mes repères, je ne savais plus qui j’étais. »

Elle revient de loin, Amélie, et elle parle si bien du terrible voyage qu’on en a des frissons. Mais dans toute cette noirceur, il y avait bien un point de lumière, un trou dans la toile et le jour au bout. « J’avais juste plus de fun, mais quand je prenais ma guitare, ça partait. » Son instrument, elle en a toujours gratouillé, comme le piano qu’elle n’a jamais vraiment lâché des doigts, mais jamais pour en faire une carrière, jamais pour même juste en rêver. « Ça n’existait tout simplement pas pour moi. »

Sauf qu’aujourd’hui, ça se passe. Il aura suffi que Manu (son amie, son agente, sa complice) fasse éclater au grand jour le talent de Beyries en faisant écouter ses compositions à quelques talents du milieu pour que la chanteuse trouve enfin « son chemin ». Tout s’est alors enclenché, à commencer par la programmation d’une première partie de Martha Wainwright l’an dernier, alors qu’elle n’avait qu’un EP sous le coude.

« Si on choisit d’être très honnête envers nous-mêmes, il faut admettre qu’on ne sait pas ce qui s’en vient. Moi, je me suis fait casser et ça a généré beaucoup de souplesse. Aujourd’hui, je dis : restons ouverts. Et puis, j’ai le désir de croire en la destinée. »

« Il y a quelque que chose d’apaisant dans l’idée de se mettre au service de la vie. Ça fait beaucoup de bien. »

Ce qui lui fait du bien aussi, c’est de prendre le temps de ne rien faire, d’être, d’écouter le calme du chalet où elle aime se poser souvent. Même si elle fait ses premiers pas sur scène, Beyries en a vu d’autres, si bien qu’elle n’hésite même pas lorsqu’on lui demande quel conseil elle aurait envie de prodiguer à Yann Perreau, son metteur en scène et nouvel ami : « Je lui dirais de ne pas avoir peur de prendre le temps d’exister. La vie va déjà assez vite comme ça. Quand je faisais de la chimio, depuis la fenêtre de mon appartement, je regardais les gens qui sortaient de l’autobus avec leur boîte à lunch et je ne les enviais pas. Il y a quelque chose de vertigineux dans le fait d’avoir du temps pour soi. C’est déboussolant, déstabilisant, mais aujourd’hui, prendre le temps de vivre, ça fait partie de mes bonheurs. »

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