Jouets stéréotypés

On ne laisse pas princesse Leia dans un coin

La campagne #WeWantLeia sur Twitter, lancée par une mère britannique a poussé Disney à produire des articles à l’effigie de princesse Leia dans sa nouvelle collection Star Wars.

Natalie Wreyford, une Britannique fan de Star Wars, a vite déchanté en découvrant la nouvelle collection Star Wars dans les magasins Disney au début du mois de mai. Elle voulait des figurines pour sa fille et son fils de 6 et 4 ans, aussi fans des films. Parmi la multitude de poupées, maillots de bain et boîtes à lunch aux couleurs de la saga, aucune trace de princesse Leia à l’horizon, ni même dans une galaxie très très lointaine.

Pourquoi écarter princesse Leia, personnage iconique de La guerre des étoiles, alors que même les très anonymes Stormtroopers (soldats de l’Empire galactique) ont la leur ?

Natalie Wreyford est préoccupée. « J’ai vite réalisé que le magasin Disney présume que ma fille et moi ne sommes pas intéressées à Star Wars. Il n’y a aucun personnage féminin parmi leurs articles », indique celle qui a compté plus de 70 jouets et articles s'adressant au public masculin et seulement deux destinés aux filles.

« [Le manque de personnages féminins] envoie un message néfaste aux enfants à propos de ce qu’ils devraient aimer ou non selon leur sexe. »

— Natalie Wreyford, doctorante britannique, mère et fan de Star Wars

Elle contacte alors le service à la clientèle des magasins Disney, demandant pourquoi il n’y a pas de figurine de princesse Leia. « Il n’est pas planifié de produire des articles à l’effigie de princesse Leia », lui répond-on laconiquement.

Pour Natalie Wreyford, doctorante au King’s College London (ses recherches portent sur la sous-représentation des femmes scénaristes dans le cinéma en Grande-Bretagne), pas question d’en rester là. Insatisfaite, elle pose la question à Disney directement sur Twitter et envoie la réponse à quelques-uns de ses abonnés. Retweet par-dessus retweet, la campagne #WeWantLeia est lancée.

Parmi les tweets de parents et fans indignés, on voit passer : 

« Les petites filles peuvent aimer Star Wars autant que les garçons. Pourquoi pas de Leia chez Disney ? »

« Je suis une fan de Star Wars, mère de deux filles fans de Star Wars ! »

Cette fois, la multinationale ne met pas trop longtemps pour réagir. La réponse vient le 4 juin. Disney confirme au magazine Time qu’il ajoutera princesse Leia à sa collection de jouets Star Wars.

QUAND LES PARENTS CONTRE-ATTAQUENT

Ce n’est pas la première fois que des consommateurs s’insurgent contre les comportements stéréotypés des fabricants de jouets.

En février dernier, une fillette de 7 ans envoie une lettre manuscrite à Lego. Elle réclame des personnages féminins plus aventuriers. Les personnages de filles « restent à la maison, vont à la plage, vont au centre commercial et n’occupent pas d’emplois », se plaint-elle. Cette lettre a été virale.

L’Association Let Toys Be Toys en Angleterre a obtenu de Toys R Us Royaume-Uni, en septembre dernier, de limiter son marketing sexué en créant plutôt des sections inclusives.

Le Québec n’est pas en reste. En décembre dernier, une pétition demandait aux magasins Renaud-Bray de cesser eux aussi leur marketing sexué.

À l’automne 2013, Children’s Place a décroché de ses présentoirs une collection de chandails pour filles sur lesquels on pouvait lire des messages stéréotypés comme « J’aime magasiner » ou « Née pour porter des diamants ».

Toutes ces campagnes seulement pour des jouets ? Les militants pour l’égalité entre les sexes n’ont-ils pas d’autres chats à fouetter ?

Pour Francine Descarries, sociologue à l’UQAM, les jouets n’ont rien d’anodin. Ils font partie des mécanismes de socialisation des enfants. La tendance marquée des magasins à catégoriser les jouets selon le sexe des enfants lui pose un véritable problème.

« Je ne prône pas l’abolition des camions ou des cuisinières. Mais je les peinturerais en beige et je m’assurerais qu’il y ait une rotation des jouets entre les garçons et les filles. »

— Francine Descarries, sociologue à l'UQAM

Elle voit un lien de cause à effet entre les jeux et le développement de certaines aptitudes. Traditionnellement, les filles jouent moins aux autos ou à la balle, ce qui aide à développer la partie du cerveau en rapport avec l’espace. Et on se demande pourquoi les femmes ont moins le sens de l’orientation, donne-t-elle en exemple.

Comme les enfants reçoivent généralement des jouets associés à leur sexe dès leur naissance, ils apprennent rapidement à quel modèle ils doivent se conformer.

« Les gens ne vont pas dire : tu dois jouer à l’auto parce que tu es un garçon, mais ils vont se montrer enthousiastes quand leur fils joue avec une auto. Les enfants le sentent. Ils vont se conformer parce qu’ils ont besoin d’être aimés. C’est un besoin fondamental », ajoute Roxane De la Sablonnière, professeure de psychologie à l’Université de Montréal. Elle prend bien garde de blâmer les parents. C’est implicite, on perpétue les stéréotypes bien souvent sans s’en rendre compte, précise-t-elle.

Francine Descarries croit que les petites filles devraient avoir accès à d’autres modèles féminins que celui de la princesse reconnue pour sa beauté et son désir de plaire. D’autres modèles comme princesse Leia pour qui Natalie Wreyford a fait campagne. Il s’agit d’une autre princesse, bien sûr. Mais en connaissez-vous beaucoup des princesses qui manient les armes, combattent avec l’Alliance Rebelle et prennent la tête de la Nouvelle République ?

+ Lisez notre reportage sur Children’s Place publié en octobre 2013 : 

http://www.lapresse.ca/vivre/societe/201311/18/01-4711782-nee-pour-porter-des-diamants.php

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