Opinion : Mike Ward condamné

La liberté d’expression droit ou responsabilité ?

Au moment où elle faisait rage et encore aujourd’hui, la saga entourant Jérémy Gabriel et Mike Ward n’aura laissé personne indifférent.

D’un côté, on retrouve un jeune souffrant d’un syndrome qui lui occasionne des malformations importantes et qui, en dépit de ses limitations, aura suscité notre admiration par sa détermination à aller au-delà de sa différence jusqu’à chanter devant le pape et Céline Dion.

De l’autre, Mike Ward, humoriste décapant s’il en est un, et la sacro-sainte communauté des humoristes québécois qui se range derrière lui pour revendiquer le droit inconditionnel à la libre expression.

Le marché québécois de l’humour offre, dans ses extrêmes, le jeu d’humoristes aux calembours à la fois fins et subtils dont Yvon Deschamps s’est fait le précurseur et, à son opposé, les vulgarités dont certains membres de la communauté québécoise de l’humour se font une spécialité. Il y en a pour tous les goûts et les goûts ne sont pas à discuter ! Rien d’anormal jusqu’à présent…

La question ici n’est pas de remettre en cause la légitimité d’un humour décapant.

Dans leurs meilleures années, les très attendus Bye bye n’ont jamais manqué d’égayer nos fins d’années en écorchant, pour notre plus grand plaisir, les egos surdimensionnés de nos personnages publics, politiciens et artistes confondus.

Le juge Scott Hughes vient toutefois de rappeler à ceux qui ont le privilège de se produire en public que la « discrimination intentionnelle et injustifiée », selon les termes mêmes du jugement rendu, constitue une limite à ne pas et à ne plus dépasser en matière de liberté d’expression. Celle-ci, aux yeux du magistrat, relève davantage d’une responsabilité que d’un droit absolu.

PRÉJUDICE INTENTIONNEL

Peu importe qu’on aime Jérémy Gabriel ou pas, peu importe qu’on considère sa famille comme opportuniste ou pas… ce qu’il faut retenir du jugement Scott, c’est qu’il y a des limites à attaquer des personnes et à leur causer intentionnellement préjudice sous prétexte qu’on peut se moquer de tout et n’importe comment. La liberté des uns cesse là où elle cause préjudice à la liberté des autres et porte atteinte à leurs droits fondamentaux avec, au premier chef, le respect et la sauvegarde de sa dignité. Merci au juge Scott de nous le rappeler.

Quant à toutes ces personnes qui ont le courage de défier leur handicap et leurs différences pour faire leur chemin dans la société, elles méritent davantage notre admiration que nos sarcasmes et nos moqueries… privés ou publics.

Enfin, Me Julius Grey se dit en « désaccord total » avec le jugement qu’il qualifie de « totalement erroné ». Il y aurait lieu de rappeler à l’éminent juriste que la liberté d’expression comporte sa part de responsabilités si l’on veut éviter que l’humour devienne une « arme de destruction massive ».

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