SCIENCE  MALADIE DE LYME

DES DIAGNOSTICS CONTROVERSÉS

« Quand des médecins écrivent dans qu’on est un lobby bien financé… Je trouve ça dégueulasse. J’ai 50 000 $ de dettes parce que j’ai passé les 15 dernières années malade. J’en ai pas d’intérêt, crisse. On est juste du monde malade qui essaie d’en aider d’autres. »

La voix de Marguerite Glazer se brise. Depuis plus d’une heure, la femme de 34 ans raconte son histoire. Celle d’une femme qui se dit atteinte de la maladie de Lyme, cette affection transmise par une tique qui gagne chaque année du terrain au Québec.

Pleurs, frustration, accusations : creusez le sujet de la maladie de Lyme et il y a de bonnes chances que c’est ce que vous trouverez. Parce que l’histoire de Marguerite Glazer peut être racontée de deux façons. Deux visions qui s’affrontent actuellement avec incompréhension, voire hostilité.

Pour les médecins qui adhèrent aux directives officielles, Marguerite Glazer est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire. Son diagnostic de Lyme, Mme Glazer l’a obtenu auprès d’un laboratoire californien qui utilise des méthodes que ne reconnaissent pas les principales autorités de santé canadiennes (ni américaines d’ailleurs). Pour se guérir, elle a consommé des antibiotiques pendant six mois – une hérésie pour la plupart des médecins, qui recommandent un traitement de deux à quatre semaines. Depuis, elle milite au sein de l’Association québécoise de la maladie de Lyme. Le mois dernier, quatre infectiologues québécois ont publié une lettre d’opinion dans La Presse+ pour dire que les arguments avancés par ce groupe et d’autres similaires relèvent de l’« antiscience ».

Mais pour Marguerite Glazer et une minorité de médecins, le parcours de la jeune femme est plutôt le symbole d’un échec : celui du système de santé à reconnaître et prendre en charge les patients atteints de la maladie de Lyme.

30 MÉDECINS EN 14 ANS

Touchée par les premiers symptômes alors qu’elle avait 19 ans, Mme Glazer a passé sa vingtaine à courir les médecins pour comprendre la fatigue, les maux de tête, les douleurs articulaires et les problèmes de concentration qui l’accablaient. Elle dit avoir consulté une trentaine de médecins en 14 ans. Comme les prises de sang ne montraient rien d’anormal, elle s’est fait systématiquement répondre que les problèmes étaient dans sa tête.

« Des problèmes psychologiques, à la fin, je ne le nie pas : j’en avais. On m’a traitée comme une enfant. Pire : on m’a traitée comme une coupable. J’étais coupable d’inventer mes symptômes, sans la moindre présomption d’innocence. »

— Marguerite Glazer

Au fil des ans, Mme Glazer est devenue de plus en plus fatiguée. Elle a fait le deuil de son emploi, de ses activités, de sa vie sociale. Elle a fini en fauteuil roulant, incapable de trouver l’énergie de se mouvoir.

« Je ne veux pas faire de mélodrame, dit-elle, mais sans le soutien de mon conjoint, je me serais suicidée. »

Après avoir obtenu son diagnostic d’un laboratoire californien et consommé des antibiotiques pendant une demi-année, elle dit avoir retrouvé la forme. C’est une femme énergique, à la silhouette athlétique, qui a accueilli La Presse dans son appartement du Mile End. Rien à voir avec la personne maigre et repliée dans son fauteuil roulant qui était apparue à la télévision, il y a deux ans, au cours d’une manifestation visant à attirer l’attention sur la détresse des patients.

Cette histoire serait anecdotique si elle ne se répétait pas partout où débarque la maladie de Lyme. Aux États-Unis, où la maladie est implantée depuis des décennies, les récits de patients qui se disent incompris déferlent dans les médias et sur l’internet. Et deux camps s’opposent. Ceux qui affirment que la maladie se diagnostique et se traite efficacement selon un protocole bien défini. Et ceux qui croient que les lignes actuelles sont trop strictes et ne répondent pas aux besoins de tous les malades.

QUAND LES MÉDECINS S’AFFRONTENT

La maladie de Lyme est causée par une bactérie appelée Borrelia burgdorferi. Cette bactérie se transmet à l’homme par la piqûre d’une tique à pattes noires elle-même infectée. Là-dessus, tout le monde s’entend. Mais à peu près tout le reste, des symptômes au diagnostic en passant par les traitements, est sujet à débat.

La grande majorité des médecins considère que la science a aujourd’hui tous les outils pour bien diagnostiquer et guérir la maladie de Lyme. Ils exhortent les patients à ne pas se fier aux diagnostics « alternatifs » pratiqués par certaines cliniques privées américaines et à ne pas suivre des thérapies dont l’efficacité n’a jamais été prouvée. Un faux diagnostic de la maladie de Lyme, disent-ils, empêchera de trouver la cause réelle des problèmes. Et les thérapies non reconnues risquent de faire plus de mal que de bien.

« On voit la montée d’un mouvement qui propage des propos qui vont à l’encontre de l’état actuel de la science, et ça nous inquiète. »

— Alex Carignan, microbiologiste infectiologue au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke

Selon M. Carignan, infectiologue, certaines cliniques américaines diagnostiquent à tort la maladie de Lyme à des patients qui cherchent désespérément des réponses à leurs problèmes, puis leur vendent des traitements dispendieux dans un but purement mercantile.

Cette école de pensée est clairement dominante. Elle est notamment soutenue aux États-Unis par le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et l’Infectious Diseases Society of America.

Mais des voix discordantes s’élèvent. Le Lyme and Tick-Borne Diseases Research Center, un centre de recherche de l’Université Columbia, à New York, juge que les tests diagnostiques officiels « ne sont pas très utiles » pour identifier les stades avancés de la maladie. Certains médecins estiment que la maladie est sous-diagnostiquée et que les traitements recommandés ne parviennent pas à guérir tous les malades. Et ils croient que leurs collègues écartent trop rapidement les affirmations de certains patients, compte tenu de l’état actuel des connaissances.

« Je ne comprends pas pourquoi on agit comme si on avait toutes les réponses. Les indications qu’il se passe quelque chose de plus complexe sont spectaculaires et substantielles », a dit au New Yorker en 2013 Brian Fallon, directeur du Lyme and Tick-Borne Diseases Research Center.

À Calgary, le Dr Ralph Hawkins, professeur de médecine à l’Université de Calgary, critique aussi sévèrement les protocoles officiels. Après avoir traité près d’une centaine de patients atteints de la maladie de Lyme, il dit constater que plusieurs d’entre eux ne sont pas guéris au terme du traitement aux antibiotiques recommandé par les lignes directrices. Dans ces cas, il n’hésite pas à poursuivre les traitements pendant plusieurs mois. Comme l’autre camp, il défend ses pratiques à coups d’études scientifiques.

« Ce qu’on observe actuellement, c’est du mépris, de la condescendance et de l’arrogance clinique, lance-t-il. Les médecins ont oublié l’essentiel : écouter leurs patients. Je suis très conscient de m’éloigner du consensus. Mais je le fais sur des bases scientifiques, et avec le plein appui de mon employeur. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.