ÉDITORIAL EMBOURGEOISEMENT

La ville change, tant mieux !

Depuis qu’un groupuscule de « terroristes » attaque ses nouveaux commerces, Hochelaga-Maisonneuve et Saint-Henri sont devenus des symboles de l’embourgeoisement urbain à Montréal. La question soulève les passions, mais rarement la raison des citoyens. Pour ou contre ces « bobos » qui, flanqués de leurs fromageries, boulangeries et bars à vin, envahissent nos quartiers populaires ?

Avant de répondre, réglons une chose : Montréal est à la « gentrification » ce que la Finlande est au capitalisme sauvage. Non, bonnes gens, la Promenade Ontario ne deviendra pas la rue des Francs-Bourgeois à Paris ni la rue Queen West à Toronto ! Le New York Times a publié le 31 mai un article sur la rue Bleecker. Au milieu des années 90, l’artère de Greenwich Village était parsemée de boutiques de luxe où l’on pouvait acheter un t-shirt signé à 400 $ US ! Sa pâtisserie Magnolia s’est transformée en attraction touristique après que les héroïnes de Sex and the City ont adopté ses cupcakes. Or, aujourd’hui, Bleecker offre plus de locaux vacants et à louer que de boutiques à la mode. L’embourgeoisement a ses limites… même à Manhattan.

Comprendre la ville

Dans Gentrifications, ouvrage collectif paru aux Éditions Amsterdam en 2016, on analyse les deux versants du phénomène. Bien que basée sur « un rapport social inégalitaire d’appropriation de l’espace, la gentrification permet également à des rencontres et des solidarités de se nouer ». Selon les auteurs, « la gentrification est un processus contradictoire, moins linéaire et plus diversifié qu’elle n’y paraît. Elle participe tout simplement au fait urbain contemporain ; la comprendre, c’est comprendre la ville ».

Bien sûr, l’exercice est plus ardu qu’entretenir des préjugés sur les bobos prétentieux ou les « maudits B. S. » En mai dernier, Hochelaga-Maisonneuve a tenu « des assises sur la gentrification », afin de faire un portrait de la situation et de trouver des solutions. Ses assises ont été précédées de six études sur la question.

Le maire de l’arrondissement, Réal Ménard, s’inquiète avec raison de la hausse des loyers et de l’appauvrissement d’un segment important de la population de son quartier. Or, la perte des logements locatifs convertis en copropriétés demeure inférieure à la construction de logements sociaux (852 condos contre 3048 nouveaux logements soci0communautaires entre 2003 et 2014).

Le profil jeune

Un récent sondage de l’Institut national de recherche scientifique (INRS) a décortiqué le profil des nouveaux arrivants dans Hochelaga. « On a été stupéfaits de voir à quel point ces nouveaux résidants sont très jeunes et scolarisés », constate Gilles Sénécal, chercheur en études urbaines de l’INRS.

Le sondage démontre que les « gentrifieurs » ne sont pas tous d’avaricieux spéculateurs.

On trouve des étudiants, des artistes, des enseignants, des locataires, des premiers acheteurs, bref des gens de classe moyenne ou moyenne supérieure qui ont fait le choix d’habiter Hochelaga, non par envie de chasser autrui, mais avec le dessein de contribuer à sa vie de quartier et à sa réhabilitation.

« Ce choix résidentiel n’est selon nous pas seulement économiquement rationnel ; il peut participer à la construction d’une identité sociale et avoir des effets dans les trajectoires sociales des ménages », avancent les auteurs de l’étude.

***

Contrairement à la croyance des milieux communautaires, l’embourgeoisement n’est pas obligatoirement une menace ni un exode des couches populaires.

Par contre, le phénomène doit être appuyé par des politiques sociales d’accès au logement.

Ceux qui estiment « moralement scandaleux » de voir des « riches » s’installer dans des quartiers pauvres ont, pour le moins, une conception très réductrice de l’urbanisme ; une pensée magique qui se heurte au caractère mouvant d’une ville. Le changement n’est pas synonyme d’inégalités. Mais le statu quo, oui.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.