Quelle sagesse ?

Le doux mystère des ruelles

J’ai pris l’habitude, cet été, de sortir par la ruelle quand je vais marcher. Je ne la connaissais pas vraiment. En ouvrant la porte de mon atelier, un matin, pour vérifier l’état des murs, je me suis retrouvée dans un autre monde.  Une campagne !

Un joli chemin de terre plate avec de gros arbres, un marronnier, un chêne et un érable à Giguère pour l’ombrager. Une odeur d’humus, quelque chose de mon enfance, remontait.

J’étais en pyjama, tout à fait libre d’errer à mon aise. Personne en vue. Il régnait un calme que j’aime retrouver en ville. Ces petites oasis, ces moments privilégiés qui appartiennent aux gens qui se lèvent tôt.

Toujours en pyjama, je m’aventure donc dans ma ruelle. Je dis « ma » simplement pour l’apprivoiser, pour me l’approprier un court instant. J’avance en frôlant les clôtures. Je reconnais les plantes que j’avais données aux voisins. Elles sont tout en fleurs. Elles embellissent le parcours. Je devrai les remercier.

S’ils savaient comme ils me rendent heureuse ce matin !

Je m’arrête aux graffitis qui décorent les portes des garages et les murs des remises. Mon atelier en est recouvert. J’aime bien la signature de ces jeunes qui nous rappellent que ce n’est pas la campagne, ici, Madame. N’empêche, ils auraient pu se forcer. Il y a plus de f.u.c.k qu’autre chose ! D'autres, plus inspirés, viendront les recouvrir. Un voisin s’est tressé un mur de saules pour se protéger du bruit et des curieux. J’en parle depuis longtemps. Il l’a fait avant moi. Bravo, voisin !

Ma ruelle a de la gueule.

J’entends une petite fille qui crie : « Maman, y'a une madame en pyjama en arrière. » J’accélère le pas avant de passer pour la folle du quartier.

Je rentre enfiler mes baskets pour aller m’entraîner. Je change mon parcours et décide d’explorer d’autres ruelles que la mienne.

J’ai dû être un chat dans une autre vie ou une poubelle. Je me sens comme chez moi. C’est mon habitat naturel. Je zigzague, je fouine, je hume et je contemple. La ville s’éveille, les chats sortent de dessous les balcons, me regardent avec indifférence, comme d’habitude. Je fais pareil.

Il y a des odeurs de café, de toasts brûlées, de sons venant de la radio ou de la télé dans des langues que je ne reconnais pas toujours.

Des cours sont transformées en potagers de légumes, en jardins de fleurs. Les paresseux empilent les traîneries. Les zélés de la propreté la recouvrent d’asphalte. Les artistes en font des œuvres d’art. Un sculpteur a assis ses personnages sur des troncs d’arbres.

Il y a des barricades si hautes qu’elles doivent cacher quelque chose de louche. Je me fais du cinéma !

Je m’arrête.

J’aimerais être invitée dans cette cour. C’est le Maroc ! Tout est blanc, même le sol éclairé de petits cailloux en poussière de marbre. Un semblant de tente recouvre une partie du balcon. Des pans de voile blanche flottent au vent. Les boudins et les coussins, qu’ils ont négligé de rentrer hier soir, sont blancs et argentés.

Une table basse en terre cuite émaillée et ciselée à la main est bondée de verres à thé vides.

Les Marocains disent qu’un thé doit être « doux comme l'amour, sucré comme la vie et amer comme la mort. » Peut-être que ce décor est temporaire, que c’était pour une fête ou un mariage !

Les cours arrière sont plus personnelles, inventives, éclatées que les cours avant. On peut se permettre d’être qui on veut en arrière, en avant on fait plus comme tout le monde, pour ne pas trop déranger ou se faire remarquer. C’est plus timide.

C’est dans notre nature de se protéger des curieux. Ce que je deviens au fil de mes promenades. Heureusement, à cette heure matinale, je ne rencontre jamais personne, ce qui me permet de fureter à ma guise.

Le lundi, grosse journée de lavage qui finit dans la sécheuse. Les vapeurs chimiques des savons me montent au nez.

Les cordes à linge de Michel Tremblay ont presque toutes disparu !

Nostalgie !

Les ruelles sont les passages secrets, intimes, colorés, animés, des gens de la ville.

Les petits connaissent ses qualités envoûtantes ! Ils jouent encore à se faire peur tout en se permettant, en cachette, leurs jeux interdits. Tout comme les amoureux.

Quand l’été mourra, les ruelles seront en deuil. Les cours perdront de leur éclat. 

Je reprendrai mon entraînement dans les rues de Rosemont.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.