Journée internationale de la femme

Un symbole paradoxal

Tour à tour objet de soumission, de libération ou de séduction, le soutien-gorge revêt, selon l’époque et les cultures, plusieurs symboliques. Et porte avec lui sa part de paradoxes.

Même si le soutien-gorge moderne fête son siècle d’existence, ce n’est pas d’hier que les femmes couvrent leur poitrine. Déjà, chez les Romaines, le « strophium », un type de bandeau, était de mise pour aller dans les bains.

« Ce type de brassière était très fonctionnel et permettait de se protéger du regard des autres », note Bernadette Rey, historienne et anthropologue de la mode, enseignante à l’École supérieure de mode de Montréal et au collège LaSalle.

Mais le rôle du soutien-gorge ne se résume pas au soutien ni à la protection qu’il procure. Au fil des époques, il a symbolisé dans l’histoire de la femme à la fois le pouvoir économique, de séduction et de libération.

Pouvoir économique

En ayant les moyens de posséder un soutien-gorge ou le luxe d’en avoir plusieurs, la femme affirme son pouvoir économique. Déjà, à l’époque de Napoléon, la mode était de porter de très jolies brassières par-dessus les robes chemises semi-transparentes en mousseline, fait remarquer Mme Rey. « C’est sûr qu’une femme qui avait une brassière luxueuse et richement décorée était mieux vue qu’une autre qui n’avait qu’une simple bande cache-cœur qui se croisait sur la poitrine. »

Le soutien-gorge devient donc une affirmation du statut social. Depuis les années 50, les types de soutien-gorge se sont multipliés presque à l’infini, à l’image des chaussures : brassière sport, lingerie fine, soutien-gorge tout-aller… « Aujourd’hui, posséder plusieurs soutiens-gorges, qui proviennent de plusieurs catégories, pour toutes les occasions et tous les moments de la journée, démontre une sorte de pouvoir économique », ajoute-t-elle.

Arme de séduction massive

En Occident, la poitrine est une arme de séduction pour les femmes. Déjà, à l’époque de la Renaissance et de Marie-Antoinette, les femmes portaient des bandes sous la poitrine, pour la rendre plus volumineuse, leur conférant un précieux pouvoir de séduction. Un peu à la manière des coussinets qu’ajoutent les femmes aujourd’hui dans leurs bonnets, souligne la professeure. Comme quoi les époques changent, mais certains réflexes restent…

Pas étonnant que le lancement de la première push-up bra par WonderBra en 1963 fut un succès instantané et donna une notoriété mondiale à l’entreprise. « Les femmes recherchaient alors un soutien-gorge qui donnait un effet rond et une allure plus sexy », explique Marianne Cobb, directrice marketing pour HanesBrands, distributeur et fabricant de la marque WonderBra, qui célébrera ses 75 ans d’existence en 2014 en lançant une collection capsule à la fin du mois d’avril.

« Un exemple récent est le cas de Marilyn Monroe, rappelle de son côté Mme Rey. On la voyait souvent avec des seins qui pointaient sous les tissus, comme des obus. Madonna a repris cette image dans les années 80, mais le message envoyé est totalement différent. »

Libérées ?

Selon qui le choisit et le porte, comment et pourquoi, le « soutif » peut prendre plusieurs sens, parfois paradoxaux. Au début du XXsiècle, il a sans aucun doute libéré la femme de la prison du corset : « Les corsets dits “droit devant” étaient horribles ; ils projetaient la poitrine vers l’avant, et les fesses vers l’arrière. Les femmes qui le portaient développaient des scolioses. À cet égard, le soutien-gorge a représenté une forme de liberté », croit Mme Rey.

Mais, il est peut-être devenu, au fil du temps, une cage dorée. Alors que nous vivons dans une société qui a mis au banc tous les tabous, ou presque, nombreuses sont les femmes qui n’imagineraient pas sortir en public sans un tel soutien.

Car la liberté, c’est aussi… de choisir de ne pas porter de soutien-gorge ! Dans les années 60 et 70, les femmes enlèvent leur soutien-gorge, un geste de « libération » souvent associé aux hippies. Mais la tendance semble en recrudescence ces derniers temps, alors que plusieurs stars ont été vues se promenant sans soutien-gorge, les mamelons au vent. Une nouvelle tendance en vue ?

La légende des soutifs brûlés

Tout le monde connaît vaguement l’histoire de ces féministes qui auraient brûlé des soutiens-gorges dans les années 60. Un seul hic : c’est une légende urbaine. « En 1968, quelques centaines de femmes se sont réunies pour protester contre le concours de Miss America. Elles en ont profité pour amener ce qu’on appelait à cette époque le “Freedom Trash Can”, où elles avaient mis des casseroles, de la vaisselle, des faux cils, des talons hauts et… des soutiens-gorges ! », raconte Francine Descarrie, professeure au département de sociologie de l’UQAM.

Ce que l’histoire a oublié, c’est que, empêchées par le chef de pompier d’allumer leur feu, les femmes n’ont jamais brûlé le contenu de leur poubelle… dont les fameux soutiens-gorges : « Oui, les femmes ont dénoncé ces artifices qui les contraignent. Mais cet événement a été utilisé pour démontrer les supposés excès du féminisme. Ce fut un symbole tellement fort, qui a servi à dénoncer certaines actions du mouvement des femmes… Mais il n’y a jamais eu de soutien-gorge brûlé dans l’histoire du féminisme ! »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.