Agrile du frêne
Le péril vert progresse
Collaboration spéciale
Après avoir fait des ravages aux États-Unis et dans le sud de l’Ontario, l’agrile du frêne est en forte progression au Québec, principalement dans la région métropolitaine. Les dégâts que l’insecte provoque sont encore peu visibles, mais ils pourraient entraîner la disparition d’une bonne partie du couvert végétal où le frêne est dominant au Québec, d’ici 10 ou 15 ans. Les pertes se chiffreront en milliards de dollars à l’échelle nord-américaine.
Présent sur l’île de Montréal depuis 2011, détecté à Longueuil puis à Laval au cours de l’automne 2012, l’agrile a été successivement trouvé cette année à Saint-Jean-sur-Richelieu, Sainte-Julie, Candiac, Boisbriand, Marieville, Granby et Boucherville.
Discret, mesurant à peine 1,5 cm, l’insecte est capable de causer des dégâts considérables. Au vu des 12 dernières années, le bilan de son passage aux États-Unis est effroyable : plus de 100 millions de frênes sont morts, souvent en l’espace de trois ou quatre ans.
Au cours des prochaines années, des millions d’arbres de cette essence pourraient disparaître au Canada et dans une grande partie du Québec, indiquent les entomologistes qui suivent la progression de l’insecte.
Regroupant 16 espèces indigènes en Amérique du Nord, le frêne représente une des plus importantes familles d’arbres sur le continent. En milieu urbain, les dépenses pour gérer et contrer l’invasion, quand cela est possible, vont atteindre des milliards de dollars. Le frêne figure en effet parmi les espèces les plus présentes parce qu’il résiste aux conditions difficiles du milieu urbain, notamment au sel de déglaçage et au confinement des racines.
Dans plusieurs municipalités nord-américaines, il représente souvent 20 % de la forêt urbaine, notamment comme arbre de rue. Ce pourcentage est encore plus élevé dans l’île de Montréal. Autour de 150 000 frênes ont été répertoriés dans les parcs de la grande ville et 50 000 autres le long des rues.
Abattre un arbre et disposer du bois et des branches coûte des centaines de dollars, souvent plus de 1000 $ quand il s’agit d’un gros spécimen, et il faut le remplacer, ce qui entraîne d’autres dépenses. Une facture qui atteint en moyenne 1500 $ par arbre, confirme Anthony Daniel, entomologiste et conseiller scientifique à la Ville de Montréal.
Et cet inventaire ne tient pas compte des frênes sur les terrains privés et ceux qui poussent souvent en grand nombre dans les parcs-nature et autres espaces verts comme les parcs du Mont-Royal, du Cap-Saint-Jacques ou Angrignon, par exemple.
Selon le Service des forêts du département américain de l’Agriculture (USDA), on compte pas moins de huit milliards de frênes sur le territoire des États-Unis, toutes espèces confondues, ce qui représente une valeur économique de 282 milliards. Les premiers signes de la présence dévastatrice de l’agrile ont été constatés en 2001 dans la région de Detroit, mais c’est l’année suivante que l’insecte a été formellement identifié.
En 2003, pas moins de six millions de frênes étaient morts dans les comtés du Michigan situés près du foyer d’infestation. Déjà, des milliers de pépinières, de scieries, sans compter d’innombrables municipalités, ont été touchées d’une façon ou d’une autre par l’agrile sur le territoire américain.
En milieu urbain, des dizaines de millions de dollars ont été dépensés jusqu’à maintenant pour éliminer les arbres morts, traiter certains survivants ou les remplacer. À Toledo, en Ohio, et à Windsor, en Ontario, la presque totalité des frênes a été coupée, soit environ 14 000 arbres. Ces villes ont été frappées avant que des traitements ne soient mis au point.
La municipalité de Hamilton dépensera 23 millions au cours des prochaines années pour abattre 20 000 frênes.
Selon Anthony Daniel, il ne fait pas de doute que l’insecte est présent presque partout et on travaille actuellement à localiser les foyers d’infestation, une tâche difficile. La Ville a cependant adopté une méthode de contrôle déjà utilisée aux États-Unis et qui s’annonce prometteuse, explique le scientifique.
Il s’agit du SLAM (
: stratégie pour ralentir la mortalité du frêne provoquée par l’agrile), qui consiste à localiser les foyers d’infestation, éliminer les arbres où l’insecte est présent, installer des pièges et traiter certains spécimens dans un rayon de 200 à 500 m avec un insecticide biologique.Des simulations par ordinateur indiquent que si une ville traitait 20 % de ses arbres dans un milieu donné, la presque totalité des végétaux de la zone ciblée serait encore en santé 10 ans plus tard. « Nous avons la chance de profiter de l’expérience acquise ailleurs ces récentes années. Nous avons une longueur d’avance. SLAM nous permet de ralentir la progression de l’agrile et ainsi de mieux planifier l’abattage des arbres et de sensibiliser la population », dit M. Daniel.
Mais les traitements ont un coût. Depuis l’an dernier, 2500 frênes sont traités avec un insecticide systémique (qui se répand dans tout le système vasculaire du végétal). Les frais sont d’environ 100 $ par arbre, sans compter le coût des travaux, mais le traitement doit être renouvelé aux deux ans. On devine qu’il est impossible de faire de tels investissements sur une grande échelle, ce qui laisse entrevoir un avenir plutôt sombre pour nos grands parcs métropolitains et une grande partie de la forêt québécoise.