ÉDITORIAL

Leur NON est québécois

Le jour où, dans cinq ou six ans, la Cour suprême du Canada déclarera inconstitutionnelle la « charte des valeurs » du gouvernement Marois, il faudra se rappeler les mémoires dévastateurs publiés en janvier 2014 par le Barreau du Québec et la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ). Ce jour-là, les indépendantistes dénonceront le jugement du plus haut tribunal canadien qui, diront-ils, aura « charcuté » une loi québécoise et « enfoncé dans la gorge des Québécois » le multiculturalisme « canadian ».

Or, l’opposition à cette charte de la honte ne vient pas d’abord du Canada anglais. Elle vient des Québécois qui croient profondément à la nécessité de protéger les droits fondamentaux des minorités contre les abus parfois commis par la majorité. Cette opposition vient d’être exprimée haut et fort par le Barreau et la Commission.

Le ministre pilotant la charte, Bernard Drainville, dira peut-être que ces deux organismes représentent l’élite, alors que lui écoute le peuple. Pourtant, il s’agit ici d’un texte légal d’une grande importance qui modifie le libellé de la Charte des droits et libertés de la personne. Cela étant, le gouvernement ne devrait-il pas porter la plus grande attention au point de vue du Barreau, qui représente les 22 000 avocats de la province, et de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, chargée de la promotion et du respect de la Charte québécoise ?

La Commission n’est pas un organisme désincarné ou hostile au gouvernement du Parti québécois. Son président, l’éminent juriste Jacques Frémont, qui fut conseiller constitutionnel du gouvernement de René Lévesque, a été nommé par le gouvernement Marois.

Publié vendredi, le mémoire de la CDPDJ taille en pièces le projet de loi 60. À son avis, plusieurs articles du texte vont à l’encontre de la Charte québécoise, de la Charte canadienne et des pactes internationaux auxquels le Québec a souscrit. La Commission souligne que « pour la première fois depuis son adoption (en 1976), les changements proposés à la Charte québécoise visent à restreindre la portée des droits et libertés qu’elle protège. »

Au sujet de l’interdiction du port de signes religieux, la CDPDJ se demande quel problème grave justifie une mesure aussi lourde : « On ne rapporte aucun cas où le port de signes religieux par le personnel de l’État québécois aurait compromis la neutralité religieuse de l’État. […] La volonté de prévenir d’hypothétiques situations n’est pas de nature à convaincre de la nécessité d’une interdiction qui porte atteinte aux droits et libertés de la personne. »

La Commission conclut : « Le projet de loi 60 ne fait qu’offrir une fausse sécurité juridique. Dans les faits, il risque plutôt de multiplier les atteintes aux droits et libertés de la personne, puis les occasions de conflits et de litiges. »

Le Barreau du Québec est tout aussi critique. Son mémoire n’est pas l’œuvre de théoriciens enfermés dans une tour d’ivoire. Il a été approuvé par la plus haute instance de l’ordre, le conseil général, qui compte 37 membres représentant toutes les régions de la province.

Sur la prohibition des symboles religieux, le Barreau soutient qu’« un nombre appréciable de personnes visées exercent des fonctions qui, par leur nature, ne les mettent pas en contact avec les citoyens. Le port de signes religieux par ces employés du service public n’est nullement de nature à compromettre l’image de neutralité religieuse de l’État. »

Comme la Commission des droits de la personne, l’ordre professionnel déplore l’interprétation erronée que fait le gouvernement de la laïcité. Celle-ci « n’est pas un objectif dont la réalisation s’apprécie au détriment de l’expression de la liberté de conscience et de la religion. La neutralité de l’État favorise au contraire la manifestation harmonieuse des consciences et croyances individuelles. »

Enfin, le Barreau s’inscrit en faux contre l’encadrement rigide des accommodements prévu par le projet de charte. Selon l’organisme, ces accommodements, déjà bien circonscrits par la jurisprudence, « ne sauraient être perçus comme étant menaçants pour la société ou pour les personnes. Ils constituent plutôt un outil de protection et d’intégration pour tous les citoyens […]. »

Quand la Cour suprême en arrivera aux mêmes conclusions, il ne faudra pas la blâmer, mais la remercier de rétablir les droits fondamentaux piétinés par le gouvernement de Pauline Marois.

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