Changer le monde

L’avenir plein les yeux

Détendu et souriant, Patrice S. César dégage une certaine fraîcheur et ne manque pas d’idées. À 27 ans, cet étudiant en droit – qui prépare actuellement son examen du Barreau du Québec – s’investit activement au centre communautaire de loisir de la Côte-des-Neiges et a été premier ministre du dernier Parlement jeunesse. Son objectif : devenir un « modèle » pour les jeunes.

Le quartier, au charme cosmopolite, se distingue par son offre culinaire particulièrement variée. Du restaurant indien et ses mets délicieusement épicés au kebab du coin, de nombreuses cultures se côtoient. Nous sommes à Côte-des-Neiges. Patrice, dont les parents sont originaires d’Haïti, a son quartier dans le sang. Il s’investit activement dans le centre communautaire de l’arrondissement depuis une dizaine d’années. Animateur, puis membre du conseil d’administration, il a pu se construire grâce à cette aventure. « Mes parents m’avaient envoyé là pour éviter que je traîne dans la rue. C’est ici que j’ai appris à briser ma gêne, m’exprimer en public et développer ma propre identité. Ça a également forgé ma vision de la société québécoise. Chaque année, nous accueillons des personnes de tous les pays que nous aidons à s’intégrer. »

Le taux de chômage est particulièrement élevé chez les immigrants, qui composent plus de la moitié de la population du quartier. Patrice estime que certains jeunes issus de cette mosaïque culturelle manquent de « modèles ». Si son itinéraire n’a jamais pris de mauvais détours, il le doit en partie à plusieurs influences positives. Et il souhaite maintenant dupliquer ce schéma. « Un jour, j’ai dit à un jeune que s’il continuait sur cette voie, il deviendrait un de mes clients. Je sais que mes propos l’ont choqué. C’est ça, le problème : peu de personnes ont un ascendant positif sur ces jeunes. Quand je l’ai revu, il m’a dit que notre conversation l’avait marqué. »

En toute confiance 

Les « petits frères » du centre le surnomment Pozé, ce qui signifie « relax » en créole. Le sourire dans la voix, l’élocution parfaite, Patrice se distingue par un goût prononcé pour les joutes verbales. L’étudiant en droit a notamment créé l’équipe de débat de l’Université de Montréal. Selon lui, les écoles secondaires devraient aussi avoir de telles équipes. « Cela permettrait aux élèves d’apprendre à respecter toutes les opinions. Ils développeraient également une certaine curiosité intellectuelle et apprendraient à s’exprimer en groupe. » La notion de « confiance » revient régulièrement au fil de la conversation ; selon lui, c’est ce qui ferait parfois défaut aux jeunes originaires de milieux défavorisés.

Aujourd’hui, une Québécoise issue d’un village reculé et une Maghrébine se rencontrent à Montréal. Alliées de circonstance, elles éprouvent les mêmes difficultés d’adaptation et se rapprochent. Voilà l’intrigue de la comédie musicale imaginée par Patrice au sein de son centre communautaire. On le sent fier du résultat. « Les jeunes de mon milieu ont besoin de se rassurer et de prendre conscience de leur potentiel. Au final, je constate que le niveau de professionnalisme est élevé. À la fin du projet, leur confiance est décuplée. Cela leur ouvre de nouvelles perspectives. » La forme mise à part, la pièce transmet un certain message. « Même si des amis ont déjà souffert de discrimination raciale, ce sont surtout les différences économiques et sociales qui créaient des difficultés. Le sentiment d’appartenance à la société québécoise s’opère lorsqu’on s’intègre socialement », affirme le jeune homme.

Premiers pas à l’Assemblée 

En cette fin d’année, une séance un peu particulière se déroule à l’Assemblée nationale. Chacun maîtrise son sujet et met ses « tripes sur la table » ; les débats en deviendraient presque houleux. Assis à la place de Pauline Marois, le premier ministre de cette 64législature du Parlement jeunesse du Québec apprécie. Patrice semble fier de ses troupes. De chef de gouvernement au « grand frère » du centre communautaire, son discours reste le même. Empreint d’un certain leadership, celui-ci se décline au pluriel. « J’ai beaucoup aimé le fait de coordonner une équipe. La qualité des interventions des gens que j’ai coachés m’a apporté une certaine fierté. Je les ai vu “grandir” et s’exprimer de mieux en mieux au fur et à mesure de la préparation des débats. »

Comme s’il l’avait anticipée, notre premier ministre en herbe balaie notre dernière question d’un revers de main : la politique ne l’intéresse pas. Lauréat du gala Forces AVENIR 2013 – lequel récompense un étudiant pour son engagement social et citoyen –, Patrice relativise les attentes placées en lui. Il a déjà ses plans. « Je préfère me concentrer sur le métier d’avocat tout en poursuivant mon engagement citoyen. J’aimerais bien travailler en Chine ou dans un pays émergent, et sortir de ma zone de confort. Quant à la politique, c’est juste un passe-temps. J’essaie de prendre du recul, car je n’ai encore rien fait de spécial. » Avant de conclure avec sagesse : « C’est à l’échelle d’une vie qu’on juge quelqu’un. »

Dans les coulisses du Parlement jeunesse du Québec 

Le Parlement jeunesse – qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale du 26 au 30 décembre derniers – est une simulation parlementaire. Une centaine de jeunes âgés de 18 à 25 ans y débattent selon le même fonctionnement qu’à l’Assemblée nationale du Québec, à une différence près : aucun parti politique n’est représenté. Patrice S. César insiste sur ce point : « Il n’y a aucune ligne de partie. On n’est pas dans une optique d’action politique, mais d’échange. Cette année, les différents dossiers à l’étude ont divisé l’Assemblée et donné lieu à des débats animés. C’est ce qu’on voulait. »

Cette année, plusieurs lois – soumises au vote des participants – étaient à l’étude. Celles-ci portaient sur l’information génomique, l’immigration, la violence physique et la représentativité des femmes sur le marché du travail. Le premier ministre ainsi que les trois membres du comité – préalablement élus par un collège d’étudiant – sélectionnent les quatre participants qui soumettent les projets de loi. « On ne se limite pas à savoir si nos projets sont réalisables ou crédibles ; nous sommes là pour proposer des pistes de réflexion. On ne s’impose aucune contrainte budgétaire. De plus, on ne se base pas seulement sur des analyses, mais aussi sur du vécu », explique Patrice S. César.

Finalement, un seul texte a été adopté à l’issue de ce Parlement jeunesse. Il s’agit de la loi sur la représentativité sur le marché du travail. Celle-ci prévoit notamment la mise en place de quotas obligatoires concernant la présence de femmes dans les conseils d’administration. À la fin de chaque Parlement jeunesse, les projets de loi sont mis à la disposition de la « vraie » Assemblée. Pour Patrice S. César, l’essentiel est ailleurs. « L’Assemblée peut, si elle le désire, étudier nos projets de loi. Mais, nous n’avons pas l’ambition de créer de nouvelles lois. On est en quelque sorte une école de débat qui lutte contre le décrochage citoyen. Et puis, c’est génial de pouvoir débattre à l’Assemblée nationale. On adore être là. »

À suivre samedi prochain : Zoé Brabant, infirmière qui participe régulièrement à des missions humanitaires aux quatre coins du monde. 

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