Courrier Lise Payette 1931-2018

« J’ai le cœur en mille miettes…

… gros comme Lise Payette. » (extrait de la chanson Je rêve à Rio, de Robert Charlebois). Elle ne rêvait pas de Rio, Mme Payette, mais elle a eu et réalisé de bien grands rêves. Son plus grand – qui était celui de voir un jour le Québec devenir indépendant – ne se sera cependant jamais réalisé de son vivant, comme pour plusieurs bonzes du nationalisme québécois.

En apprenant la nouvelle de sa mort, c’est tout un pan de ma jeunesse qui est tombé (un autre !). J’ai un souvenir flou – mais lumineux – de son émission Appelez-moi Lise (l’ampleur du personnage, déjà, était dans le titre !). Une émission avant-gardiste où elle interviewait les plus grands de ce monde avec l’audace d’une Julie Snyder bien avant l’heure. Elle avait aussi organisé le party le plus audacieux que le Québec ait jamais connu : une sorte de Woodstock québécois de quatre jours sur le mont Royal, en 1975, et qui a culminé par un méga show où la grande Ginette Reno a offert sa prestation inoubliable d’Un peu plus haut, un peu plus loin

Un peu plus loin justement, je la revois aux côtés de René Lévesque, lorsque le PQ de la première mouture a balayé la carte électorale du Québec en ce fameux 15 novembre 1976. Ou à titre de ministre lorsque, par la suite, elle a réussi l’exploit de créer l’assurance automobile du Québec (devenu un acquis depuis !) et de faire inscrire la devise « Je me souviens » sur les plaques d’immatriculation.

Bien que je garde un souvenir moins heureux de ses dernières années dans la sphère publique (je la lisais de moins en moins, particulièrement dans ses dernières chroniques où son jupon nationaliste dépassait chaque fois un peu trop), je me désole de penser que l’œuvre immense de cette figure de proue du féminisme ait été ternie par quelques maladresses (l’étrange défense de son ami Claude Jutra ou encore, lorsqu’elle a tenté de dissuader Léa Clermont-Dion de porter plainte pour agression sexuelle). Une œuvre que les réseaux « asociaux » n’ont pas manqué d’achever dans une presque unanimité et qui rappelle que les personnages de sa « dimension » sont souvent victimes de leur stature et ne reçoivent toute la reconnaissance qui leur est due qu’au moment où leur tour de piste prend fin.

Vivement que cette pionnière du Québec moderne soit enfin reconnue à sa juste valeur. Vivement qu’on soit des masses à lui dire : je me souviens.

— Robert Campeau

L’apparition de l’homme rose

Au début des années 80, j’étais aux portes de l’âge adulte tandis que de grands changements s’opéraient, entre autres par le biais de la télévision. Deux femmes, Lise Payette et Janette Bertrand, déboulonnaient les mythes et les clichés du mâle québécois. Voulant affirmer ma masculinité, je naviguais entre le modèle patriarcal, voire archaïque, et le nouveau modèle que l’on désignait comme étant celui de l’homme rose. Imaginez le dilemme pour le jeune garçon que j’étais ! Nous sommes passés de « un gars, ça ne pleure pas » à « ça pleure aussi, un homme ». La plupart de nos modèles masculins, d’une époque révolue, pestaient devant le petit écran quand ils voyaient, aux heures de grande écoute, le téléroman La bonne aventure ou L’Amour avec un grand A. C’était à la fois troublant et hilarant.

Lise Payette a joué un rôle capital pour les relations, ainsi que l’égalité, entre les hommes et les femmes. Une femme-phare pour le Québec moderne. Disons que pour l’homme en devenir que j’étais, ce fut un apprentissage en accéléré et très marquant. Et, sans le savoir, notre génération allait connaître une révolution des sexes, essentielle, mais pas toujours rose et tranquille.

— Alain Goulet

Grosse chaleur…

J’étais à ce temps secrétaire particulier du ministre de l’Agriculture, Jean Garon (le gros ministre…). Et j’avais décidé, à un moment donné, de quitter son cabinet pour rejoindre celui de Jocelyne Ouellette, ministre des Travaux publics et de l’Approvisionnement, à titre d’attaché de presse. M. Garon n’était pas content, et invoquant le fait que cette dernière était responsable des édifices gouvernementaux, il en a profité pour l’interpeller avant la période des questions et lui dire qu’elle faisait exprès pour garder la salle de l’Assemblée nationale chaude, que la climatisation ne fonctionnait pas sur le parquet, surtout à son pupitre, et… qu’elle lui prenait son personnel.

La plainte se déroulait sous les yeux du premier ministre René Lévesque qui préparait ses affaires. Mme Payette, qui n’était pas loin non plus, a entendu la conversation. Elle est venue s’en mêler (peut-être pour aider sa copine Jocelyne). Elle lui a dit très simplement : « M. Garon, si vous avez chaud, vous n’avez qu’à maigrir ! » Et pan ! Venant de la part de Mme Payette, qui n’était pas petite, cela a pris une allure bien cocasse et surtout très drôle…

— Pierre Bérubé, auteur

Une œuvre marquante

Lise Payette m’a énormément diverti avec sa trilogie des téléromans La bonne aventure, Des dames de cœur et Un signe de feu, que je regardais en famille au cours des années 80.

Elle m’a appris qui furent les suffragettes, Marie Lacoste Gérin-Lajoie, Idola St-Jean et Thérèse Casgrain, entre autres, quand j’avais 13 ans.

Elle a nourri mon indépendantisme pendant toute ma vie. Elle a développé ma conscience sociale et politique à travers sa quotidienne Marilyn au début des années 90.

Elle est devenue le baromètre à partir duquel j’évalue encore aujourd’hui tous les intervieweurs depuis que je l’ai vue animer Tête à tête de 1992 à 1994.

Elle m’a inspiré d’une manière indescriptible avec sa trilogie de mémoires Des femmes d’honneur, qui reste un canon pour moi, à la fin des années 90.

Elle a nourri ma réflexion générale et élargi mes horizons par ses chroniques dans Le Devoir au cours des années 2000-2010 et ses autres écrits.

Elle m’a touché comme personne d’autre au Québec, et ce, jusqu’à la fin, avec son blogue Rappelezmoilise.québec de 2016 à 2017 et sa page Facebook très active jusqu’en novembre 2017 !

Merci, Mme Payette !

 — Danny Gougeon

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