OPINION

Lettre aux évêques du Québec

Mes Seigneurs,

À l’occasion du vote prochain sur le projet de loi 52 concernant l’aide médicale à mourir, vous réaffirmez la norme morale en toute circonstance, de ne pas abréger la vie. Or, comme toutes les normes, celle-ci peut et doit accepter des exceptions. Pour confirmer la règle, l’exception doit exister.

Un des plus grands parmi vous, Hans Küng, écrit dans Être chrétien : « Le service de l’homme a priorité sur l’observance de la Loi. Aucune norme ni institution ne saurait être érigée en absolu ». Et affirmant que l’homme peut et doit assumer ses responsabilités, il écrit : « Non, personne n’est obligé d’accepter tout cela jusqu’à la fin en soumission à Dieu… » (Mon combat pour la liberté, p.134).

Jacques Grand’Maison, théologien, après avoir confirmé l’existence de situations-limites, écrit qu’on ne peut « se prêter à une logique univoque, qu’elle soit médicale, juridique, morale ou religieuse ». Il faut dans chaque cas, écrit-il, « chercher la solution la plus humaine », d’où il conclut dans ces cas qu’on ne peut « méconnaître que l’aide médicale à mourir puisse être un geste humanitaire », parce qu’« absolutiser le caractère sacré de la vie peut mener à des postures inhumaines…ou à faire des choses cruelles » (Culture et Foi, déc. 2010 et Rapport de la Commission p. 63).

L’éthique-en-situation, la « sagesse pratique » du philosophe chrétien Paul Ricoeur, « consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude, en trahissant le moins possible la règle » (Soi-même comme un autre, p.312). L’objecteur de conscience ne renierait donc ni la règle ni ses valeurs – il agirait par compassion, reconnaissant l’exception.

D’ailleurs, ayant décrit une situation-limite, l’éthicien D.J. Roy éditorialise : « Ce fut une faute de laisser la patiente mourir dans la terreur…le médecin aurait été entièrement justifié éthiquement (« utterly justified ethically »), de choisir avec la patiente le moment de sa mort, lors d’un moment de tranquillité, elle qui l’avait demandé ». (Journal of Palliative Care 1990 ; 6 (2) : 3-5).

Cette solution – humaine et chrétienne – est impossible sans un ajustement juridique, précisément ce que l’Assemblée nationale, arrimée à la majorité québécoise depuis plus de quatre ans, se prépare enfin à faire. Exhorter les députés à renier leur première responsabilité, qui est de représenter leur population respective, est mal avisé. Il est équitable que la loi fasse justice aux justes convictions des uns et des autres.

Respectueusement soumis à votre réflexion.

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