Monde

La crise vénézuélienne fait des vagues

La déroute actuelle n’est pas étrangère au virage à droite et à la montée des discours xénophobes observés en Amérique latine

La crise vénézuélienne met à l’épreuve la traditionnelle solidarité latino-américaine et alimente un virage politique vers la droite, affirme le Québécois Sébastien Dubé, politologue à l’Université Del Norte de Barranquilla, en Colombie.

L’exode de plus de 2 millions de Vénézuéliens pèse lourd sur les pays qui les ont accueillis au cours de la dernière décennie, ouvrant la voie aux discours xénophobes, voire carrément racistes. Parallèlement, l’effondrement de l’État vénézuélien donne des arguments aux partis de droite, qui associent leurs adversaires à un modèle en déroute.

C’est le double constat dressé mardi, en entrevue, par le spécialiste de l’Amérique latine, qui était le conférencier du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal.

Sébastien Dubé note que la Colombie, premier pays d’accueil des migrants vénézuéliens, est déjà aux prises avec 4 millions de déplacés internes. L’afflux massif de dizaines de milliers de Vénézuéliens y crée un choc.

« Beaucoup de Colombiens se plaignent que leurs salaires baissent depuis le début du flux migratoire, beaucoup de Vénézuéliennes se prostituent en Colombie. »

— Sébastien Dubé, politologue à l’Université Del Norte de Barranquilla

Élans de xénophobie

Ces phénomènes contribuent à la construction d’une image négative des migrants vénézuéliens. Tandis que le gouvernement colombien s’en tient à un discours d’ouverture, et que les deux pays ont une longue histoire commune, des « réflexes de racisme et de xénophobie » commencent à se manifester dans certains segments de population.

Des journaux latino-américains font état d’une augmentation de la discrimination et de menaces de mort contre les Vénézuéliens.

Des « milices de nettoyage social » qui ont pris le relais d’anciens groupes paramilitaires colombiens, et qui pourfendent les homosexuels ou les amateurs de cannabis, publient aujourd’hui des messages haineux contre les migrants vénézuéliens, souligne Sébastien Dubé.

De tels discours se manifestent aussi au Chili, surtout à l’endroit de migrants haïtiens qui s’y sont établis au cours des dernières années, et qui forment la première « minorité visible » du pays. « Il y a cinq ou dix ans, le Chili ne comptait qu’une poignée d’immigrants, aujourd’hui, ils forment 5 % de la population », constate le politologue.

Toutes proportions gardées, la Colombie a elle aussi vu apparaître les migrants, surtout vénézuéliens dans son cas, sur son écran radar démographique. Le phénomène est perceptible un peu partout en Amérique latine, continent qui n’était pas prêt pour ce choc migratoire, selon Sébastien Dubé.

« Les sociétés latino-américaines doivent apprendre en 10 ans ce que le Québec a appris en trois générations, on leur demande de réagir avec ouverture, alors qu’elles ne sont pas préparées à la diversité et qu’elles connaissent elles-mêmes beaucoup d’inégalités et d’instabilité. »

Virage à droite

Selon Sébastien Dubé, le facteur vénézuélien a déjà eu des retombées politiques concrètes, lors de la dernière présidentielle chilienne et dans l’élection présidentielle brésilienne, dont le deuxième tour aura lieu le 28 octobre.

Dans les deux cas, les partis de droite utilisent l’échec du modèle vénézuélien comme un « épouvantail » pour éloigner les électeurs des partis de gauche. Au Chili, on a même brandi le spectre d’un « Chilizuela ».

Et dans les deux cas, la stratégie s’est avérée payante. Il y a un an, le conservateur Sebastián Piñera a été élu président du Chili. Tandis que le candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui est le grand favori du scrutin présidentiel au Brésil, ne se gêne pas pour associer le Parti des travailleurs brésiliens au modèle « chaviste » qui a fait faillite au Venezuela.

Ce virage vers la droite sur fond de montée xénophobe survient dans des pays où « la construction de l’identité nationale est basée sur le ressentiment envers les pays voisins », fait valoir Sébastien Dubé.

Selon lui, le cocktail est potentiellement explosif.

« Je crains une augmentation de crimes haineux dans des pays qui font face à des mouvements migratoires très importants et qui n’ont aucune stratégie d’éducation pour préparer les gens à la diversité. »

— Sébastien Dubé

« Déjà, dans les journaux, quand on lit les commentaires des lecteurs, il y a un niveau de racisme et de violence qui fait peur. »

Des commentaires qui tranchent avec les discours de la majorité des leaders des pays concernés. Mais pour combien de temps ?

Venezuela

Appel à une « aide urgente » pour gérer la vague migratoire

Mardi, l’envoyé spécial de l’ONU pour la migration du Venezuela, Eduardo Stein, a lancé un appel aux donateurs internationaux pour faire face à l’« avalanche » de personnes fuyant la crise dans ce pays vers d’autres en Amérique latine. « Nous allons en appeler aux donateurs […] aptes à verser cette aide d’urgence le plus rapidement possible », a déclaré M. Stein aux médias, lors d’une visite dans la ville colombienne de Cucuta, principal point d’entrée des migrants vénézuéliens. « La Colombie a utilisé ses budgets » pour gérer cette « avalanche humaine qui vient du pays voisin, mais cela ne suffit plus », a-t-il souligné. Le président colombien Ivan Duque a affirmé que son pays consacre 0,5 % de son PIB, soit environ 1,3 milliard de dollars, à faire face à cet « exode massif ». La Colombie, en tête de la pression diplomatique contre la « dictature » du chef de l’État vénézuélien Nicolás Maduro, a averti de son incapacité à faire face seule à cette situation, et appelé à une collaboration internationale. 

— D’après l’Agence France-Presse

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