Chronique : Multiculturalisme

Un zèle nocif

Nombre de Canadiens ont été choqués de voir Justin Trudeau s’adresser à « nos frères et nos sœurs, là-haut » (sic) dans une mosquée où les femmes étaient reléguées dans une salle à l’étage, cachées et invisibles.

Ils ont raison. Le multiculturalisme tel qu’il est pratiqué par le gouvernement Trudeau est une forme extrême, pour ne pas dire extrémiste, de la philosophie multiculturaliste – une philosophie éclairée et progressiste quand elle est pratiquée avec modération, mais ridicule et nocive quand on l’applique au pied de la lettre.

Il y a en effet toute une différence entre tolérer des pratiques religieuses fondamentalistes et les encourager.

Exemple : on peut tolérer qu’une femme se présente en niqab à la cérémonie de prestation de serment des nouveaux citoyens. Tolérer sans plaisir, au nom du principe fondamental de la liberté religieuse, une pratique marginale qui ne lèse personne. Mais on ne doit surtout pas traiter la dame en héroïne, comme l’ont fait plusieurs médias anglophones… et la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, qui est allée jusqu’à lui téléphoner personnellement pour la féliciter !

Au lieu d’aller dans une mosquée où une femme première ministre n’aurait pas eu le droit de parler, M. Trudeau aurait dû chercher une mosquée qui ne pratique pas la ségrégation des sexes. S’il n’y en a pas, il n’avait qu’à célébrer la fête de l’Aïd dans un club social arabe où les femmes auraient été admises au même titre que les hommes.

En prenant solennellement la parole dans une mosquée ségréguée, il cautionnait en quelque sorte le principe de l’infériorité des femmes.

Autre exemple. La première ministre albertaine Rachel Notley a souligné la fin du ramadan dans un discours télévisé avec un voile sur les cheveux. Comme si toutes les musulmanes portaient le voile ! Quel besoin avait-elle de se déguiser en musulmane pratiquante à partir d’un studio de télévision ?

Et quel besoin Justin Trudeau avait-il de se déguiser en sikh religieux, turban sur la tête et sabre en mains, pour participer à une cérémonie sikhe ?

C’est là une conception dévoyée du multiculturalisme, à moins que ce ne soit du cabotinage ou de la condescendance… Les chefs de gouvernement sérieux gardent leur costume de ville quand ils s’adressent à des groupes religieux.

Il y a, bien sûr, des règles de courtoisie à respecter. Les hommes qui savent vivre portent la kippa dans une synagogue, tout comme ils se découvrent en entrant dans une église. Les femmes portent un foulard quand elles visitent une mosquée, tout comme on enlève ses chaussures pour visiter un temple bouddhiste. Ce ne sont que des gestes de politesse qui n’ont rien à voir avec la soumission.

Quand René Lévesque, peu avant le référendum de 1980, est allé parler de souveraineté à un auditoire juif, c’était dans une salle communautaire où hommes et femmes étaient mélangés, mais il a accepté de bon gré de s’abstenir de fumer durant son allocution.

Durant sa campagne électorale de 1994, Jacques Parizeau a visité une communauté hassidique à Boisbriand. Il s’est adressé à une assemblée exclusivement masculine, pendant que les femmes recevaient très chaleureusement, autour d’une table débordant de gâteries, les collaboratrices du chef péquiste et les femmes journalistes qui suivaient sa tournée. Mais cette visite, qui répondait à une invitation, ne se voulait pas une proclamation solennelle du multiculturalisme. C’était simplement une main tendue vers une communauté recluse qui voulait connaître le futur premier ministre.

M. Trudeau, par contre, fait la promotion du multiculturalisme « hard » avec un zèle maniaque qui n’a plus rien à voir avec la simple reconnaissance de la diversité, une approche qui s’impose dans un pays multiculturel comme le Canada.

Le problème réside dans l’exagération. Un exemple parmi d’autres, le Canada a maintenant quatre ministres sikhs dont deux pratiquants enturbannés, alors que les sikhs sont 1,4 % de sa population !

En toile de fond, on trouve le mythe que le Canada ne serait qu’une juxtaposition d’individus d’origines diverses. Un pays en forme de hall de gare, où tous les modes de vie s’équivalent.

Le multiculturalisme éclairé, au contraire, reconnaît la réalité, soit l’existence d’un socle, d’une population de plus ou moins vieille souche professant des valeurs communes, à laquelle les nouveaux venus sont invités à s’intégrer à leur rythme.

Au Québec, on parle souvent d’interculturalisme, pour prendre en compte son caractère particulier, car contrairement aux autres provinces, dont la composition ethnique est plus diversifiée, 80 % de la population provient de la même source française. Mais quoi qu’en disent leurs promoteurs (dont Gérard Bouchard), l’interculturalisme ou le transculturalisme ne sont en fait que des variantes du multiculturalisme.

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