Quel sagesse?

Notre mère, la Terre

Je gratte la terre, je creuse, je gratte encore, pour la soigner, la dépouiller, la libérer du mal qu’on lui a fait. Je gratte pour l’aérer, pour la laisser respirer. On l’a étouffée avec nos gros bidons de pétrole cordés dans des trains funestes, avec nos produits chimiques de nettoyage maison de compulsion obsessive de notre propreté maladive. Les mots vont plus vite que moi.

On a pollué son air, à notre mère la Terre, à vouloir aller toujours plus vite, à la vouloir plus propre que les blancs lavabos. Je voudrais me coucher dessus pour la protéger, lui chanter des berceuses pour qu’elle se repose de nous, les tueurs, les malfaiteurs, les voleurs de grand chemin, les agresseurs de sa bonté. 

On lui a tout arraché, on ose creuser encore plus, pour aller chercher dans ses intestins des gaz de schiste de shit qui dormaient en paix. Elle ne nous a rien demandé. 

On la pile, on l’éventre, on retire de ses veines un sang noir qui, à l’air libre, peut flamber comme un feu d’artifice et se transformer en crachats de dragons en furie.

La planète Terre, notre demeure, nous permet de vivre comme au paradis, si on le voulait. Elle nous fournit tout ce dont on a besoin pour se loger, manger, s’aimer, copuler, enfanter et se reproduire. Et que fait-on en retour pour la remercier ? On la viole, jour après jour, on lui arrache les entrailles pour les vendre au plus coûtant à des magnats sulfureux.

Je sais depuis longtemps que ce que l’on fait tous ensemble et individuellement est mal.

Les grandes forêts brûlent et on les laissera brûler.

Un ami m’écrit de la Baie-James : « Je viens d’aller faire un tour dans le bois, plus aucun son, les oiseaux viennent d’arrêter leur chant du matin. Plus rien, la terre ici a plus de valeur économique sans les arbres, les animaux et les Cris. Plus besoin d’études d’impacts environnementaux pour exploiter les mines. »

On déboise les forêts quand on ne les brûle pas.

La terre gronde, hurle, s’exprime. Des inondations, des tornades, des feux, des épidémies refont surface. On ne l’écoute pas. Et pourtant ! Les scientifiques, les écologistes, les gens censés qui réfléchissent un peu plus que nous nous préviennent depuis des lunes. On donne un peu d’argent à Greenpeace, on continue de rouler dans nos grosses voitures, de s’acheter de grosses maisons avec de gros appareils électriques, de grosses piscines, de gros barbecues. On voyage dans de gros avions qui carburent à une vitesse folle et viennent parfois s’écraser et flamber dans les villes.

En hiver, des camions réfrigérés remplis de fruits et légumes traversent les Amériques pour nous permettre de manger un ananas frais en janvier.

Le pétrole, le dieu du progrès, nous roule et nous roulons aveuglément jusqu’au cimetière.

Je sais que vous savez tout cela, moi aussi.

On a perdu la tête, comment la retrouver?

On laisse aller, on se dit que ça n’arrivera pas, pas chez nous, qu’on est protégé. On laisse nos villes dans les mains de gens souvent irresponsables, de gens que nous élisons sans nous poser trop de questions. On va très peu voter, on s’en fout, on est trop occupé à consommer.

On ne s’indigne pas vraiment, sauf dans les bars et les salons quand la bière est abondante. On discute de ce qu’on devrait faire, mais on ne se déplace pas souvent pour aller manifester, parler, dénoncer quand c’est le temps de prendre des décisions qui peuvent avoir des conséquences importantes sur nos vies.

On est un bon peuple gentil, oui, c’est vrai. On ne fait pas trop de vagues, oui, c’est vrai. On n’est pas trop dérangeants dans l’ensemble.

Un jour arrive l’inimaginable ! Le monstre surgit à l’endroit même où l’on savait depuis longtemps qu’il pouvait s’y retrouver.

Alors, bouche bée, impuissant, on regarde des enfants brûler, des parents disparaîtrent. On sait que cela pourrait être nous. Nous devenons une immense famille en deuil. Tristes témoins de la folie humaine.

Je sais que vous savez tout cela, moi aussi.

Tout est à faire.

Indignons-nous, avant qu’il ne soit trop tard !

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