Opinion  Éducation

Les maudites moyennes

Nous devons nous donner une vision plus positive de l’éducation, qui inclut l’erreur et l’imperfection

Pendant pratiquement tout mon parcours scolaire, j’ai été conditionné à préférer la bonne note à l’apprentissage. Et, aujourd’hui, je me demande s’il y a moyen de ne pas propager le même esprit de comparaison dans les classes.

C’est peut-être juste une période. Mais, j’ai véritablement un mépris grandissant pour les moyennes, les rangs centiles ou cinquièmes et n’importe quel autre outil qu’on utilise pour classer les élèves entre eux. Donne-moi ton rang centile et je te dirai ce que tu es. Ah ! Mais, je ne dis pas ça parce que je n’ai jamais cru en ces outils. Bien au contraire, ils m’ont rendu malade. Au secondaire, au cégep, puis finalement, j’ai réussi à m’en débarrasser durant mes dernières années d’université. Or, les séquelles sont difficilement réversibles.

Je suis certain que ça me réveille la nuit. Je me réveille pour les mépriser. Je ne haïs pas tant le concept que ce qu’il représente. On se console en encourageant les élèves à faire des erreurs et que celles-ci sont fondatrices de leur processus d’apprentissage. Toutefois, on les amène à se dénigrer eux-mêmes quand ils en font trop. « Madame, votre enfant est moyen. »

La mentalité du système scolaire devrait être la même qu’un bon joueur de golf : tu joues contre toi-même. Il faut que tu développes le maximum de tes capacités et que tu dépasses les limites que tu t’étais toi-même imposées. C’est par rapport à toi que tu te compares, pas par rapport aux autres. Mais, ce n’est pas le cas. 

Au secondaire, pendant une période où l’estime de soi est en con (des)struction, où le regard des pairs devient aussi important – sinon plus – que le regard des parents, on pousse tout naturellement les élèves à se comparer entre eux, à s’autocatégoriser dans des « castes » allant de la bolée au poche en maths, en passant par le doubleur.

Je ne sais pas si c’est par sa simple présence que l’outil de comparaison est néfaste ou par son utilisation. Néanmoins, je doute de plus en plus de ses bénéfices, sinon qu’il rassure le parent que son enfant soit bel et bien « normal », ou qu’il l’inquiète parce qu’il a plus de misère que la moyenne à faire une translation géométrique.

Dans une société de l’offre et de la demande, c’est tout naturel qu’on tente de classer les gens entre eux. Les PDG des compagnies veulent le finissant en marketing ayant le meilleur dossier. Le patron d’un grand bureau d’avocat veut sélectionner avec attention le meilleur candidat.

Il reste toutefois à se questionner sur ce qu’on tente de faire avec notre éducation. Est-ce qu’on la voit comme ce fameux « permis de travailler » ou est-ce qu’on la considère dans son sens le plus large ? Est-ce qu’on veut fournir à la société une masse de travailleurs spécialisés ou de citoyens éclairés ? Un peu des deux, dans l’idéal. 

Je crois cependant que nous pouvons ralentir la dévalorisation des jeunes et de leurs écoles en essayant de nous donner une vision plus positive de l’éducation. Une vision plus abstraite, certes, mais qui pousse à un développement global de l’individu. Une vision qui inclut l’erreur et l’imperfection dans la vie humaine. Ça ne passe pas nécessairement par une grosse réforme. C’est dans les discours et dans les mentalités que ça se joue.

C’est immensément complexe parce que la réalité des écoles est complexe. Et la saine compétition ? C’est vrai. Par contre, dans les écoles secondaires, on y voit plus souvent des très forts devenir encore plus fort par esprit de compétition qu’on y voit des élèves « moyens » se sentir soudainement transportés par un désir de battre la moyenne.

De surcroît, cette catégorisation a un effet excessivement néfaste sur l’estime de soi des élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Ainsi, même si la société est faite ainsi, cela ne veut pas nécessairement dire qu’on ne peut pas tenter d’inculquer une mentalité plus progressiste au milieu scolaire. Mon objectif n’était donc pas ici d’insulter le fonctionnement en place, mais de poser une question qui restera toujours en suspens : qu’attendons-nous réellement de l’école ? Si on veut que le diplôme du secondaire soit plus qu’un permis de travail, il faudrait arrêter de le considérer comme tel. Parce que l’éducation, c’est bien plus que ça.

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