Chronique

Bougeons

Le Prix Nobel de la paix Muhammad Yunus avait un message très simple et très clair à envoyer aux participants de C2 Montréal hier : l’humain est un entrepreneur.

Fondamentalement, un dénicheur de solutions.

Donc n’attendons pas d’avoir du boulot, créons-le.

« Oublions les jobs, on aurait dû arrêter ça au siècle dernier », a-t-il lancé aux centaines de personnes réunies dans le grand hall de l’Arsenal où a lieu la conférence de trois jours sur le commerce et la créativité. « Devenons des donneurs d’emplois. »

Inventeur du microcrédit, l’économiste, banquier et entrepreneur social de 75 ans n’a pas été aperçu dans les piscines de balles de C2 Montréal, ni sous les parapluies à deux – pour échanger avec des inconnus sous de vraies averses artificielles – ou couché dans un des hamacs Fat Boy parsemés sur le campus de cette espèce de séance de remue-méninges géante, où gens d’affaires, de création, de communication se retrouvent pour la cinquième année consécutive.

Mais c’est bien de création qu’il était venu parler hier. De création d’emplois, de création de richesse, de création d’entreprises.

« Un emploi, c’est la fin de la créativité. » Le pire qui puisse arriver à un cerveau plein d’idées, c’est d’être embauché. Et à quoi doivent servir ces nouvelles entreprises ?

À tout, puisque le microcrédit tel que pensé par la banque Grameen de M. Yunus depuis 1983 sert à investir dans des milliers et des milliers de projets portés par des citoyens, souvent des femmes, qu’on n’aurait jamais imaginés comme des entrepreneurs il y a 40 ans. (Le microcrédit compte des détracteurs, mais selon l’économiste, avec des taux de remboursement de 98,5 %, on ne peut qu’y croire.)

Mais les nouvelles entreprises peuvent aussi servir à régler les problèmes sociaux dans les communautés où le microcrédit est nécessaire. M. Yunus, qui vient d’un pays aux prises avec de nombreux problèmes de pauvreté et tout ce que cela engendre, croit aux entreprises sociales. Aux sociétés engagées.

Ce ne sont pas des ONG qui ne font pas de profits, comme Kiva, le site web de microcrédit hyper populaire porté par les réseaux sociaux, qui permet de prêter de l’argent, sans intérêt, à des gens partout dans le monde qui veulent se lancer en affaires. Daniel qui veut acheter des semences au Kenya ou Erinaldo, en Colombie, qui veut acheter plus de cochons pour sa porcherie.

Mais ce ne sont pas non plus des entreprises traditionnelles qui harnachent les besoins sociaux – transporter des gens, produire de la nourriture, puiser de l’eau, chausser les enfants – pour aller chercher des profits. M. Yunus ne nomme personne, mais dans cette catégorie, on pense à Toms, le fabricant d’espadrilles qui donne une paire de chaussures à des gens dans le besoin pour chaque paire de Toms achetée. L’entreprise redonne aux communautés dans le besoin, mais engrange aussi des profits.

L’entreprise sociale telle que conçue par M. Yunus utilise plutôt les structures traditionnelles des entreprises pour les rendre efficientes et rentables et met de l’avant la création d’emplois, mais elle prévoit le réinvestissement de tous les profits.

La première entreprise de ce type créée par l’économiste est Grameen Danone, une société en partenariat avec le géant français des produits laitiers. Installée au Bangladesh, elle y produit du yaourt à très bas prix destiné au marché local et rempli des nutriments dont les enfants manquent le plus dans les communautés rurales du pays.

Il y a aussi Grameen Intel – Grameen est le nom de la banque de microcrédit créée par M. Yunus – qui vend des logiciels et des applications pour aider les communautés les plus démunies du Bangladesh, que ce soit du côté de la gestion agricole ou de suivis de santé, notamment chez les femmes enceintes et nouvellement mères.

Selon le Prix Nobel, rencontré en entrevue, c’est à de telles entreprises qu’il faut penser pour aider les communautés autochtones ici au Canada. Quelles sont leurs difficultés ? L’économiste ne les connaît pas bien. Mais si elles ont perdu leur culture et que là est le début de leur dérive, qu’on fonde là-bas des entreprises qui leur permettent de s’en reconstruire une, moderne, inspirante.

« On peut régler ces problèmes, dit-il aux Canadiens. N’attendez pas. Sautez. »

Oui, mais les barrières ? Le racisme, le sexisme, les dépendances, la pauvreté paralysante et toutes les difficultés sociales, qui font que les premiers pas sont si difficiles pour se sortir de la pauvreté ? « Il y a des barrières partout, tout le temps, ça ne peut pas nous arrêter », répond le Prix Nobel.

Et que le gouvernement fasse son boulot, les entreprises, le leur.

Et que les entrepreneurs sociaux prennent la relève, celle qu’on attend d’eux. « Allez-y, dit M. Yunus. Faites-le. »

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