Regards sur le monde

Haïti en panne sèche

Port-au-Prince

 — « Pourquoi il passe devant, j’étais là avant. » Plusieurs dizaines de motards agglutinés autour d’une pompe d’une station-service faisaient entendre leurs clameurs, le mois dernier, à des dizaines de mètres à la ronde. 

Sur la grande artère adjacente, une longue file de voitures s’étirait dans une rue presque vide. Les conducteurs prenaient aussi leur mal en patience.

La capitale haïtienne était à sec depuis trois jours, à l’exception du diesel. Des rumeurs s’étaient répandues : cette station allait offrir quelques galons aux premiers arrivés. D’où la cohue. 

Quelques jours plus tôt, toutes les stations-services avaient été envahies, soit à partir du moment où les premières informations au sujet d’une pénurie imminente ont circulé. Ce qui a bien sûr aggravé la situation encore plus. 

« Je n’ai pas pu envoyer ma fille à l’école, le prix du bus a plus que doublé », raconte Claudette, mère célibataire de l’est de la capitale. Faute d’élèves ou de professeurs, plusieurs écoles ont simplement fermé pendant que le marché noir du gaz roulait sur l’or. 

De petits commerces artisanaux ont poussé comme des champignons le long des routes, vendant leur gaz, parfois coupé avec de l’eau pour augmenter les profits, dans des bidons d’huile et des contenants de plastique à portée de la main. 

Le retard d’un pétrolier a ainsi bloqué l’économie du pays, déjà chancelante, pendant plus d’une semaine. Il accoste à Port-au-Prince chaque mois avec une réserve pouvant alimenter le pays pendant une vingtaine de jours. 

Les pénuries dans les moments de forte demande sont donc courantes depuis quelques années, en particulier pendant les vacances de fin d’année ou la saison du carnaval en février. Haïti ne manque pourtant pas de pétrole. Le pays est renfloué constamment depuis 2007 par un programme de 1,4 milliard de dollars de pétrole vénézuélien vendu à l’État haïtien en prêts à long terme (1 % sur 25 ans). Le gouvernement le revend ensuite aux pétrolières du pays et paie avec cet argent une grande partie de ses projets. Le programme vénézuélien PetroCaribe est de loin la plus grande source de financement externe du gouvernement haïtien. Les ministères de l’Intérieur, du Commerce et des Affaires étrangères ainsi que les bureaux du premier ministre seront reconstruits cette année et l’année prochaine avec ces millions. Il a déjà permis la construction de trois centrales électriques, le financement de programmes humanitaires de l’État et de nombreuses routes.

« Actuellement, nous ne disposons d’aucun stock de réserve pour l’essence », s’inquiète Max Roumain, président de l’Association nationale des distributeurs de produits pétroliers, au cœur de cette crise. Puisque c’est le gouvernement qui contrôle l’approvisionnement, il doit attendre une décision politique. L’une des solutions avancées par M. Roumain serait d’ajouter de nouveaux réservoirs au terminal pétrolier de la capitale pour emmagasiner plus de pétrole. Le gouvernement haïtien propose plutôt d’arrêter de vendre un des deux types de pétrole sur le marché en Haïti pour simplifier la gestion des stocks et son transport. Une proposition en ce sens aurait été déposée devant le Conseil des ministres, qui ne l'a pas encore approuvée. 

Le retard du pétrolier le mois dernier n’est pas lié à la mort d’Hugo Chavez ni aux élections qui ont suivi au Venezuela, a affirmé la ministre de l’Économie et des Finances d’Haïti, sans fournir plus d’explications sur ce qui l’a causé. Les responsables du gouvernement ont appelé « la population à ne pas céder à la panique » et à attendre calmement l’arrivée du pétrolier, quelques jours plus tard. Loin d’être affolés par cette nouvelle épreuve, les Haïtiens ont pris leur mal en patience. Les intervenants dans les nombreux débats et tribunes téléphoniques en ont par contre fait leurs choux gras, tour à tour s’amusant ou se désolant du manque de planification des autorités. 

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.