Chronique

Le Canadien en six

Non, ce titre n’est pas une prédiction en vue des séries éliminatoires. Le Canadien n’y participera pas parce que sa direction manque de lucidité (pas seulement sur le plan hockey) et souffre d’un leadership déficient (pas seulement dans le vestiaire).

Mais juste pour le plaisir de dire « Le Canadien en six », une phrase que les partisans auraient tellement aimé lancer à l’approche de la première ronde, voici une analyse de six enjeux auxquels l’organisation fait face.

Contrer le désintéressement

Croyez-vous qu’on fera la file devant le Centre Bell au cours des prochaines semaines pour acheter des abonnements de saison ? Moi non plus ! Cette saison se termine dans une morosité absolue. L’ambiance est pire que lors des deux dernières fois où le CH a raté les séries.

En 2012, le renvoi de Pierre Gauthier peu avant la fin du calendrier annonçait un vent de changement. Et en 2016, Marc Bergevin a convaincu beaucoup de monde que cette dégringolade n’était qu’un accident de parcours dû à la blessure de Carey Price.

Cette fois, rien de tout cela. Bergevin demeure en poste – une décision qui ne fait pas l’unanimité auprès des fans – et on sait très bien que les ennuis du CH ne se limitent pas aux performances du gardien vedette.

Les gens suivront toujours les activités du CH. Mais on devine néanmoins un vent de désintérêt. Si cela n’inquiète pas Geoff Molson, il devrait peut-être discuter avec les dirigeants qui étaient en poste au Centre Bell au début des années 2000. Quelques mauvaises saisons avaient compliqué la vente des abonnements et la location des loges d’entreprise. Aujourd’hui, surtout avec le prix exorbitant des billets, le CH n’est pas à l’abri d’un phénomène semblable.

Les impressionnantes chutes des cotes d’écoute à la télé confirment ce désenchantement. Selon les dernières données de RDS, les matchs du CH ont généré un auditoire moyen de 508 000 personnes cette saison, par rapport à 686 000 en 2016-2017. Ce n’est pas tout : les affrontements des 1er et 3 avril derniers n’ont attiré que 229 000 et 339 000 amateurs.

Si Geoff Molson et ses associés ne profitaient pas d’un quasi-monopole, et devaient lutter sur le plan affaires contre les néo-Nordiques ou les Expos 2.0, leur organisation serait dans une position très délicate.

Ne pas tenir les fans pour acquis

L’arrogance guette toujours les entreprises. Et le Canadien doit faire un examen de conscience à cet égard.

L’été dernier, l’organisation a été surprise par la réaction des abonnés lorsqu’elle a imposé des frais substantiels pour obtenir une version imprimée de leurs billets. Pourquoi cet étonnement ? Parce qu’elle est habituée à ce que les gens versent toujours plus d’argent sans rechigner.

Le problème avec cette attitude, c’est que le ressac est puissant quand les gens en ont subitement assez. Et c’est ce qui s’est produit. Le Canadien, peu habitué à naviguer dans une controverse semblable, a paru désemparé.

Cette controverse n’a touché que quelques milliers de clients de l’équipe. Mais son retentissement a jeté une ombre sur l’image de marque de l’organisation, rendant ainsi les gens plus critiques à son endroit. Consentir des rabais occasionnels sur le prix des hot-dogs une fois la saison lancée n’a rien changé à cette perception.

À force d’étirer l’élastique, il arrive qu’il casse… Le CH sera-t-il capable de le reconnaître en vue de la prochaine saison, en adoptant des mesures amicales pour ses clients ? Ou restera-t-il prisonnier de sa philosophie habituelle ?

Découvrir le sens du mot « transparence »

La transparence est une valeur clé dans le monde des affaires d’aujourd’hui. Et le Canadien, engoncé dans ses vieilles traditions, ne le comprend pas encore. Suffit de voir comment il gère l’information à propos des blessures de ses joueurs pour le réaliser.

J’aurais pensé que la direction tirerait des leçons de l’incroyable feuilleton entourant la blessure de Carey Price en 2015-2016. Eh bien non ! Nouvelle blessure au gardien vedette deux ans plus tard, nouvelle impossibilité d’avoir l’heure juste sur-le-champ. Et cela a conduit à un torrent de rumeurs qui n’ont pas servi sa cause ni celle de l’organisation. Encore une fois, le CH a réagi trop tard.

Quant au fameux « plan » évoqué par Geoff Molson pour relancer l’équipe, est-ce trop demander d’en expliquer les principaux contours aux amateurs ?

Se rappeler qu’il s’agit de sport-spectacle

La LNH propose aux fans du sport-spectacle. Et dans cette expression, le mot « spectacle » n’est pas simplement là pour faire joli. Si les gens ne trippent pas en regardant une équipe, si aucun joueur ne les fait lever de leur siège, la saison est longue.

En juin 2016, le CH a échangé son joueur le plus électrisant depuis longtemps en expédiant P.K. Subban aux Predators de Nashville. Le message aux fans était clair : on se fout éperdument du fait que vous aimiez ou non un joueur. Il a beau être un des plus charismatiques de la LNH, il a beau s’impliquer dans la société comme pas un, tout cela ne compte pas.

En se départant de Subban, un joueur qui fut à l’avant-plan du magnifique parcours du CH en séries éliminatoires en 2014, le CH s’est coupé d’une partie des amateurs. L’équipe a perdu un défenseur spectaculaire bâti pour le hockey d’aujourd’hui.

Que ce soit sur le marché des joueurs autonomes ou au repêchage, le CH doit mettre le grappin sur un joueur phare. Pour l’instant, nous n’avons droit qu’à des flashes qui viennent parfois d’Alex Galchenyuk et pas assez souvent de Jonathan Drouin. Rien pour coller les gens devant leur télé…

Se regarder dans le miroir

Geoff Molson l’a dit : le CH doit se regarder dans le miroir afin de voir si toutes les bonnes personnes sont en place. L’intention est louable. Mais ce souhait se concrétisera-t-il en action véritable ?

J’ai mes doutes, mais tant mieux si c’est le cas. Cet exercice est incontournable et doit mener à des changements, notamment sur le plan du recrutement professionnel. Pourquoi ? Parce que Mark Streit, parce que David Schlemko, parce que Joe Morrow, parce que Karl Alzner…

Privilégier le talent

L’arrivée de Shea Weber devait régler le problème de leadership du CH. Ce ne fut pas le cas. L’équipe de cette saison a été particulièrement molle à ce chapitre, signe que le problème est plus profond. Max Pacioretty n’est pas devenu le capitaine espéré, capable d’entraîner les autres à sa suite sur la patinoire. Et Carey Price, le joueur le plus important de l’équipe, n’a pas donné le ton comme à son habitude.

La direction du CH mise beaucoup sur le « caractère » des joueurs. C’est souvent le premier mot mentionné à propos d’une nouvelle acquisition. Tout cela est très bien, mais il faudrait privilégier le talent même si c’est souvent plus difficile à gérer. Car s’il en manque au sein d’une équipe, même avec des joueurs reconnus pour leur « caractère », on ne gagne pas.

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