Opinion Sylvain Charlebois

SECTEUR AGROALIMENTAIRE
S.O.S. main-d’œuvre

Rares sont les thèmes sur lesquels le secteur agroalimentaire s’entend presque à l’unanimité. Mais il en existe un qui ne surprendra personne : celui de la pénurie de main-d’œuvre, qui fait très mal.

Il s’agit simplement de visiter un restaurant ou tout endroit touristique pour s’en rendre compte. De façon sournoise et subtile, certains établissements ferment plus tôt ou ouvrent plus tard sans vraiment donner de raison. Restaurants, hôtels, lieux d’attraction, foires, peu importe ; le manque de personnel est criant.

Le problème se retrouve partout au sein de la filière agroalimentaire. La restauration, l’un des secteurs les plus exposés, vit des moments particulièrement difficiles. Il ne s’agit plus uniquement de dénicher les perles rares et les employés les plus performants, mais plutôt de trouver du monde, point. Il manque de cuisiniers, de serveurs et de gérants. Le service se trouve ralenti parce qu’il manque d’employés derrière le comptoir, dans la cuisine ou dans la salle à manger. Un calque de cette situation se retrouve partout au Canada ainsi qu’aux États-Unis.

Le travail en restauration n’a plus le même attrait qu’avant, et il s’avère évident que la nouvelle génération s’intéresse de moins en moins à ce secteur.

Un récent sondage américain indiquait que 82 % des personnes de la « génération Z » (nées après 1997) ont eu comme premier emploi un travail dans le domaine de la restauration, mais que 75 % l’ont abandonné après seulement six mois. Pour ceux qui demeurent au sein de l’industrie, la grande majorité erre d’un poste à l’autre question de gagner quelques sous de plus. La rétention de personnel constitue donc un défi de taille.

Parallèlement, peu de gens croient que la hausse du salaire minimum pourrait aider. En Ontario, sous le gouvernement de Kathleen Wynne, le salaire minimum est passé de 11,60 $ à 14 $ l’heure en 2018, et ce, il y a plus d’un an déjà. Les problèmes d’embauche et de rétention du personnel persistent toujours partout dans la province. En effet, de nombreux restaurateurs ont choisi de gérer leur personnel différemment et d’offrir moins d’heures de travail à leurs employés afin de demeurer concurrentiels.

Transformation et agriculture

Dans le domaine de la transformation, où les conditions de travail ne sont jamais faciles, l’embauche pose aussi problème, mais cette situation perdure depuis déjà un bon moment. Au Canada, il existe actuellement un déficit de 59 000 emplois et ce chiffre devrait passer à 114 000 d’ici 2022.

En agriculture, on assiste au même scénario. Selon le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture, le manque de main-d’œuvre a coûté 2,9 milliards en 2018 en revenu agricole, une hausse de 120 % depuis 2014. Cette somme équivaut aux revenus moyens de 11 600 fermes au Canada. C’est énorme.

Cependant, il y a quand même de l’espoir pour la transformation et l’agriculture. Certains transformateurs d’aliments canadiens et agriculteurs pourront garder plus facilement les travailleurs étrangers grâce à un nouveau projet-pilote financé par le gouvernement fédéral, qui permettra à ces travailleurs venus d’ailleurs de présenter leur candidature pour devenir résidants après un an d’emploi à temps plein. Ce projet-pilote propose un changement bien accueilli par les secteurs touchés par le manque de main-d’œuvre.

Attendez-vous à voir grandir la quantité de main-d’œuvre étrangère en agriculture, qui va choisir ainsi le Canada comme pays d’adoption.

Il n’en demeure pas moins très malheureux de constater que peu de Canadiens veulent de ces emplois, mais ces travailleurs qui nous arrivent d’outre-frontière sont les véritables sauveurs d’un secteur de plus en plus boudé par nos jeunes, qui cherchent fortune dans d’autres domaines plus séduisants.

L’émergence des « cuisines fantômes »

La pénurie de main-d’œuvre qui prévaut dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie représente un véritable cancer. Pendant que les secteurs de la transformation et de l’agriculture se tournent davantage vers les travailleurs étrangers, la solution, pour le service, passera par la robotisation et l’économie du partage. On assiste déjà à ce phénomène en Asie et en Europe.

La montée des « cuisines fantômes » – « dark kitchen » ou « shadow kitchen » – permettra aux restaurateurs de faire des affaires autrement. Ces cuisines sans salle à manger ni comptoir sont conçues pour offrir des repas livrés à des clients qui utilisent des applications telles que Uber Eats, Foodora et SkipTheDishes. Londres compte près de 70 cuisines fantômes de ce genre et il en existe déjà quelques-unes au Canada.

Les chefs cuisiniers cèdent peu à peu leur place à la robotisation en cuisine, ce qui diminue de façon draconienne le coût unitaire par service. Un jour, nous constaterons peut-être un coût d’achat plus bas pour un repas déjà préparé que pour le même plat cuisiné à la maison.

En restauration, sans avoir les maux de tête associés à la gestion du personnel, les propriétaires de restaurants optent pour un modèle d’affaires sans service à la clientèle et une livraison en sous-traitance. Ce contraste ne peut passer inaperçu dans un secteur pourtant reconnu pour son savoir-faire en matière de relations humaines et d’expérience.

Un contraste, certes, mais puisque personne ne veut de ces emplois, il faut penser à d’autres solutions.

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