Maternité

Et si l’allaitement devenait obligatoire ?

Au Venezuela, les parlementaires souhaitent proposer un amendement qui rendrait obligatoire l’allaitement maternel. Ce projet de loi est évidemment très controversé dans un pays où seulement 27 % des femmes allaitent.

Le ministère de la Santé a un objectif précis : que 70 % des mères allaitent d’ici 2017. Il veut mettre de l’avant l’amour filial, améliorer la santé des nourrissons et réduire les importations de lait en poudre jugées trop coûteuses. Le texte de loi prévoit interdire la publicité de lait infantile et la distribution gratuite d’échantillons de lait en poudre.

Les recommandations officielles

Les organismes tels que l’UNICEF, la Société canadienne de pédiatrie et l’Organisation mondiale de la santé recommandent l’allaitement exclusif pendant six mois.

Mélissa Savaria est infirmière spécialiste en lactation IBCLC (International Board certified lactation consultant) au CHU Sainte-Justine à l’unité néonatale. « Le mot d’ordre des professionnels de la santé c’est de promouvoir, protéger et soutenir l’allaitement maternel. On doit donner toute l’information aux nouveaux parents sur les bienfaits du lait maternel », dit-elle. Ce sont les mères qui feront le choix d’allaiter. 

« On ne doit pas les juger, mais s’assurer que la décision est éclairée. On sait aujourd’hui que le lait maternel est la meilleure chose pour le bébé, mais on connaît moins les risques de la préparation commerciale. Il y a quelques années, on évoquait les avantages de l’allaitement, ensuite on a mis l’accent sur les bienfaits et maintenant, ce sont des risques du non-allaitement et des préparations commerciales dont on parle. En ayant ce discours-là, beaucoup de parents culpabilisent, mais ce sont des données probantes et des faits véridiques », affirme-t-elle.

Myriam a accouché d’une petite fille en 2011. Elle avait décidé d’allaiter. Pour elle, c’était important et naturel. Elle ne pensait pas tomber de si haut. Les premiers jours se sont bien passés. Elle a mis le bébé au sein, sursautait de temps à autre lorsque sa petite prenait le bout de son mamelon. « Je suis sortie de l’hôpital avec la conviction d’avoir compris la position du bébé lorsqu’on le met au sein… mais après quelques semaines j’avais vraiment trop de rougeurs et de gerçures. Jamais je ne me serais imaginé souffrir autant. Et j’étais vraiment épuisée. Je suis allée à mon CLSC, j’ai vu une infirmière qui m’a donné quelques explications, mais ma souffrance était telle que j’étais découragée ». Myriam aurait tant voulu poursuivre son allaitement au-delà de deux mois. Elle garde l’impression que l’allaitement est vu comme quelque chose d’automatique et d’ultra-facile, alors que cela devrait plutôt s’apprendre.

Un apprentissage

« Quatre-vingt-trois pour cent, le taux d’initiation à l’allaitement à la naissance, c’est bon. Ce qui est préoccupant, c’est que les femmes n’atteignent pas leurs objectifs d’allaitement et vivent ça comme un échec. On tient un double discours en disant " allaitez mesdames, car c’est ce qu’il y a de meilleur pour le bébé " mais dès qu’elles ont un souci, il n’y a personne pour les rassurer… Moi-même j’ai appelé au secours », explique Kathleen Couillard. Lors de la naissance de son deuxième enfant, elle a demandé du soutien à la Ligue La Leche, dont elle est devenue membre et monitrice aujourd’hui. Résultat : son premier bébé a été allaité pendant quatre mois, son deuxième, deux ans et demi et son troisième pendant trois ans. « On n'oblige absolument pas les mères à allaiter. La Ligue La Leche a été fondée par des mères et pour des mères. Notre mission est de les soutenir dans leur allaitement », poursuit Kathleen Couillard.

En 1997, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a fait de l’allaitement maternel une priorité nationale de santé publique, puisque le taux d’allaitement diminuait. Il a atteint en 1993 48,7 %. L’objectif : « Que d’ici 2007, l’allaitement maternel à la sortie des services de maternité augmente à 85 % et qu’il soit de 70, 60 et 50 % au deuxième, quatrième, et sixième mois de la vie de l’enfant, et de 20 % à 1 an », peut-on lire sur le document officiel du ministère. En 2001, parmi les lignes directrices élaborées, on implante l’Initiative des amis des bébés (voir encadré), un programme international lancé en 1991 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF).

Pour Annie Desrochers, journaliste de Radio-Canada et auteure de Bien vivre l’allaitement (éditions Hurtubise), il est légitime pour un gouvernement de mettre en valeur certaines politiques de santé publique lorsqu’elles s’appuient sur un consensus scientifique. « C’est l’application sur le terrain qui est à revoir. Il faut aller au-delà des statistiques. Le bébé naît, on le met au sein de la mère, et hop ! on coche la case pour les statistiques. Le personnel de la santé est content, mission accomplie ! Au suivant ! Or c’est après qu’il faudrait intervenir. Il n’y a pas de service après-vente. Les femmes se retrouvent face à elles-mêmes, sans aucune aide ». Elle a observé beaucoup de maladresse de la part du personnel de santé. « On manque cruellement d’empathie et d’écoute envers les mères. Certains professionnels de la santé se permettent de dire quoi faire au nom du bien suprême de l’enfant. Allaitement ou pas, c’est vraiment ça qu’il faut changer au lieu d’être dans l’atteinte d’objectifs et être dans la performance », poursuit Annie Desrochers, mère de cinq enfants.

« Comme société, au Québec, on n’explique pas beaucoup ce que c’est que les premières semaines avec un nouveau-né. C’est vrai que c’est très difficile, on ne dort plus, on a mal dans le corps, le ventre qui pend, on pleure pour rien, on ne se retrouve plus. On est isolée aussi. C’est un choc immense. On ne peut pas le comprendre sans l’avoir vécu… »

Les amis des bébés

L’initiative des hôpitaux amis des bébés (IHAB) est un programme international qui a été lancé en 1991 par l’Organisation mondiale de la santé et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). Au Canada, l’IHAB a été modifié pour devenir l’Initiative des amis des bébés (IAB) pour notamment inclure les CLSC.

Pour recevoir la certification « Ami des bébés », un établissement doit passer avec succès une évaluation externe approuvée par un comité accrédité. Les critères d’évaluation portent notamment sur la formation du personnel, la qualité de l’enseignement fait aux parents, le contrôle de la publicité des préparations commerciales pour nourrissons et l’organisation des soins aux mères et leurs nouveau-nés.

Pour obtenir la reconnaissance officielle « Ami des bébés », un hôpital doit :

• Appliquer les 10 conditions pour le succès de l’allaitement maternel, comme par exemple laisser l’enfant avec sa mère 24 h par jour, encourager l’allaitement au sein à la demande de l’enfant, ne donner aucune tétine.

• Respecter le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel.

• Présenter un taux d’allaitement de 75 % à la sortie du service de maternité ou le taux national correspondant, s’il est plus élevé.

• Passer avec succès un processus d’évaluation externe.

(Source : Document officiel du ministère de la Santé et des Services sociaux.) 

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