ARTS VISUELS

L’horizon d’une rencontre

L’architecte et mécène Phyllis Lambert vient d’acquérir une œuvre d’art de Luc Courchesne, L’invention de l’horizon, dans le cadre de la campagne de financement du magazine d’arts visuels Ciel variable. La grande dame de l’architecture montréalaise est allée jusqu’à rejoindre l’artiste dans les Alpes françaises pour suivre sa dernière création artistique… La Presse les a rencontrés.

Pour sa campagne de financement, Ciel variable associe régulièrement un collectionneur à un photographe. Pressentie par le magazine, Phyllis Lambert a choisi Luc Courchesne. Le chercheur de la Société des arts technologiques a alors voulu proposer une idée de création originale « à la hauteur de Mme Lambert ».

Le créateur, qui s’intéresse aux questions panoramiques et immersives depuis une vingtaine d’années, s’est rappelé sa lecture du livre The Panorama : History of a Mass Medium, de Stephan Oettermann, qui évoquait une expérience scientifique réalisée au XVIIIe siècle sur un sommet des Alpes françaises.

Le géologue et naturaliste suisse Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799) avait grimpé sur le mont Buet, à 3096 m d’altitude, en 1776, puis avait fait dessiner la vue circulaire qu’on y avait par le peintre et graveur Marc Théodore Bourrit. Pour bien des scientifiques, cette première définition à plat d’une vue panoramique circulaire correspond à l’invention de la représentation de l’horizon, le panorama étant la première étape conceptuelle qui a mené à la photographie puis au cinéma.

Or, la formule mise au point par Bourrit pour son dessin correspond à celle de l’optique que Luc Courchesne utilise depuis 1999 pour enregistrer, en une seule prise de vue – photographique ou vidéographique –, l’ensemble panoramique qu’on peut voir autour de soi.

Immersion totale

Luc Courchesne voulait depuis plusieurs années aller prendre sa photo de 360º au sommet du mont Buet, à quelques kilomètres de Chamonix. « Je l’ai donc proposé à Mme Lambert, qui a trouvé cela formidable ! »

« L’œuvre de Luc est tellement intelligente, dit Phyllis Lambert. Il expérimente artistiquement et scientifiquement, et pousse ses concepts toujours plus loin. »

Mais Phyllis Lambert n’a pas seulement acheté l’œuvre de Luc Courchesne : elle est allée vivre cette aventure avec lui en Haute-Savoie en septembre dernier. Luc Courchesne est toutefois monté sans elle au sommet du mont Buet, une ascension de plusieurs heures de marche. Là, entouré de montagnes, il s’est tenu au centre de ce qui est devenu son image de 360º. L’horizon s’est déployé sur un cercle autour de lui, à mi-chemin entre le niveau de ses pieds et le ciel.

Sur sa photo de 13,5 po de diamètre, on distingue au centre le large sommet enneigé de la montagne avec quelques grimpeurs qui se reposent près d’un cairn. Et sur 360º, on peut voir se profiler les sommets alentour, notamment le mont Blanc, l’aiguille Verte, l’aiguille d’Argentière et le mont Cervin.

« Si Saussure existait aujourd’hui, il aurait la même vue, mais il constaterait que le glacier permanent a disparu et que d’autres glaciers ont fondu, dit Luc Courchesne. Comme scientifique, il verrait l’effet des changements climatiques. Du coup, j’ai envie d’aller un peu plus loin dans ce projet pour illustrer ce déséquilibre dont on est la cause. »

L’œuvre L’invention de l’horizon sera accrochée bientôt chez Mme Lambert. Elle comprend – au sein d’un cadre circulaire blanc de 32 po masquant les contours d’un écran de 27 po – la photo de Luc Courchesne et, en fondu enchaîné, le dessin croqué 237 ans plus tôt par Bourrit. « C’est une œuvre fascinante, dit Phyllis Lambert. Luc a ajouté à ma demande les noms des montagnes et des cols environnants. »

Le numéro de Ciel variable qui vient de sortir contient une présentation de l’œuvre (achetée au prix de 5000 $) avec un texte de l’artiste et un autre de Phyllis Lambert.

Mme Lambert a adoré cette rencontre artistique et scientifique avec Luc Courchesne. « Je n’étais pas du tout nécessaire à la chose, dit-elle avec humilité, mais je trouvais qu’on devait la faire ensemble, même si je ne pouvais monter très haut dans la montagne. Je devais y aller, sinon il m’aurait manqué la richesse énorme de vivre cette expérience. C’est ça qui est merveilleux. »

Luc Courchesne, 61 ans

– Artiste visuel passionné d’arts médiatiques et numériques

– Cofondateur et directeur de recherche à la Société des arts technologiques (SAT)

– Professeur à l’Université de Montréal

– Membre de l’Académie royale des arts du Canada

– Inventeur d’un dispositif d’immersion visuelle

– Il a participé à une centaine d’expositions dans le monde

– Grand prix de la Biennale du musée NTT-ICC de Tokyo en 1997

– Award of Distinction des prix Ars Electronica, à Linz (Autriche), en 1999.

– Il exposera ses plus récentes œuvres à la galerie PFOAC, à Montréal, du 28 mars au 10 mai

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