décryptage

L'effet Cynthia Nixon

NEW YORK — Avec ses talons aiguilles et ses tailleurs d’avocate ambitieuse, Miranda Hobbes n’aurait jamais mis les pieds à Brownsville, quartier défavorisé de Brooklyn, dans un épisode de la série culte de HBO Sex and the City. Et elle n’aurait pas davantage utilisé le métro miteux de New York pour se déplacer.

C’est pourtant la destination et le moyen de transport que l’actrice Cynthia Nixon, la Miranda du petit (et grand) écran, a choisis, le 20 mars dernier, pour prononcer son premier discours à titre de candidate au poste de gouverneur de New York.

Résultat : la New-Yorkaise de 51 ans est arrivée en retard au lancement de sa propre campagne à cause d’une panne de métro. À vrai dire, elle n’aurait pas pu rêver d’une meilleure entrée en scène. Elle n’a pas seulement attiré l’attention sur un de ses trois grands thèmes électoraux – la décrépitude du métro new-yorkais, dont la gestion relève ultimement du gouverneur de l’État. Elle a aussi démontré sa détermination à comprendre les problèmes auxquels font face les New-Yorkais les moins fortunés.

Mais cette femme engagée dans plusieurs causes parviendra-t-elle à faire oublier un profil que plusieurs électeurs progressistes de New York ont appris à honnir, celui de la célébrité qui veut se faire élire à une haute fonction sans aucune expérience politique ?

La réponse n’influera pas seulement sur le résultat de la primaire prévue en septembre pour désigner le candidat démocrate au poste de gouverneur de New York. Elle pèsera également sur les ambitions présidentielles du gouverneur démocrate sortant, Andrew Cuomo, qui sollicite un troisième mandat tout en lorgnant la Maison-Blanche.

« C’est le thème sous-jacent de cette course », explique à La Presse Christina Greer, politologue à l’Université Fordham de New York.

« Tout ce qui a trait à cette campagne, du moins pour Andrew Cuomo, se déroule à l’ombre de l’élection présidentielle de 2020. Il peut gagner, mais si sa marge de victoire n’est pas assez grande, cela sera perçu comme une défaite et Cynthia Nixon aura ruiné ses chances en 2020. »

— Christina Greer

« Du point de vue d’Andrew Cuomo, Cynthia Nixon ne peut gagner un tiers du vote comme l’a fait Zephyr Teachout en 2014 [lors de la primaire démocrate] », ajoute-t-elle en mentionnant la professeure de droit quasiment inconnue qui avait attiré vers elle de nombreux électeurs progressistes insatisfaits de la performance du gouverneur démocrate.

Réduire les « inégalités écrasantes »

Mariée depuis 2012 à une militante de la cause LGBTQ et mère de trois enfants – dont deux d’un précédent mariage à un homme –, Cynthia Nixon tentera d’ajouter au vote de Zephyr Teachout celui des minorités de la ville de New York, et notamment des Afro-Américaines. D’où ce premier déplacement à Brownsville, où elle a promis de s’attaquer à un système scolaire dans lequel une ségrégation raciale persiste, d’améliorer un métro décrépit et de réduire les « inégalités écrasantes ».

« L’État de New York est l’État le plus inégalitaire du pays, a-t-elle dit à Brownsville. Ce n’est pas quelque chose qui arrive par hasard. Cela découle d’un choix, celui de baisser les impôts des entreprises et des super riches et de couper les services de tous les autres. »

« C’est un choix auquel les républicains comme Donald Trump nous ont habitués. Mais au cours des huit dernières années, c’est aussi un choix qui a été fait par notre gouverneur, Andrew Cuomo. »

— Cynthia Nixon

L’intimé doit s’étonner d’être comparé à Donald Trump, cible de ses nombreuses critiques. Figurent parmi ses réalisations progressistes une loi légalisant le mariage homosexuel, une autre fixant le salaire minimum à 15 $ l’heure et une autre encore interdisant les fusils d’assaut dans l’État.

Mais Andrew Cuomo incarne un certain pourrissement de la politique à Albany, capitale de l’État de New York, où les scandales de corruption sont nombreux. Sa réaction à la candidature de Cynthia Nixon peut être qualifiée de schizophrénique. Il a d’abord minimisé la renommée de l’actrice, qui s’est souvent illustrée sur Broadway, où elle a remporté deux fois le Tony de la meilleure actrice. « J’espère que Brad Pitt, Angelina Jolie et Billy Joel ne se lanceront pas dans la course », a ironisé le gouverneur.

Puis il s’est félicité au cours des derniers jours d’une série de mesures susceptibles de plaire aux électrices ciblées par Cynthia Nixon. Au nombre de ces mesures : l’accès gratuit aux tampons et serviettes hygiéniques dans les écoles publiques de New York pour les élèves de la 6e à la 12e année.

Andrew Cuomo n’a certes pas tort de relativiser la renommée de Cynthia Nixon. Elle n’est certainement pas aussi connue que Brad Pitt. Mais, selon Christina Greer, il suffit d’entendre l’actrice pour réaliser qu’elle n’est pas non plus le même genre de célébrité que Donald Trump.

« Il y a une différence entre les deux, dit la politologue de l’Université Fordham. L’une est sans aucun doute curieuse de savoir comment régler [les] problèmes, comment encourager les communautés marginalisées à régler ces problèmes. Et vous avez en Donald Trump la célébrité qui est la moins curieuse en Amérique. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.