Chronologie

DE L’EXIL AU RENVOI RATÉ

JANVIER 2011

Belhassen Trabelsi arrive à Montréal avec femme et enfants, chassé de son pays par la révolution démocratique.

SEPTEMBRE 2011 

En son absence, les tribunaux tunisiens condamnent Belhassen Trabelsi à 15 ans de prison pour divers trafics liés à la corruption du régime.

JUIN 2014 

Un juge confirme le refus du gouvernement canadien de débloquer une partie de sa fortune pour l’aider à payer ses dépenses au Québec comme son loyer mensuel de 5000 $, un chauffeur et l’école anglophone privée non subventionnée pour ses enfants.

FÉVRIER 2015

La fuite de documents confidentiels SwissLeaks révèle qu’en 2006-2007, Trabelsi détenait 22 millions de dollars dans un compte en Suisse.

MARS 2015

Sa demande d’asile au Canada est refusée en raison des « raisons sérieuses de penser [qu’il] a commis des crimes de droit commun en Tunisie correspondant aux infractions de fraude, fraude envers le gouvernement et recyclage des produits de la criminalité ».

DÉCEMBRE 2015

Les avocats de Trabelsi remportent une manche en Suisse et font bloquer la restitution à la Tunisie d’une partie de sa fortune.

MAI 2016

Un juge canadien rejette une demande de sursis du renvoi de Trabelsi, mais constate qu’il a disparu.

Révolution tunisienne

Le Canada a perdu sa trace

Le beau-frère de l’ex-dictateur tunisien Ben Ali devait être expulsé mardi

L’expulsion de l’un des principaux oligarques de l’ancienne dictature tunisienne, attendu dans son pays où il doit purger 15 ans de prison, a été annulée cette semaine parce que les autorités canadiennes ont perdu sa trace au terme de cinq ans de procédures judiciaires à Montréal.

Tout était prêt. Le 31 mai devait être un jour important dans le sillage du Printemps arabe. Le Canada allait finalement expulser Belhassen Trabelsi, beau-frère de l’ancien dictateur tunisien Ben Ali, comme le réclame le nouveau gouvernement démocratique de Tunis depuis des années.

Sauf que le principal intéressé s’est volatilisé dans la nature avant que l’Agence des services frontaliers ne réussisse à le mettre dans un avion.

Les détails de l’imbroglio sont exposés dans une décision récente de la Cour fédérale, en réponse à une demande de sursis du renvoi présentée par l’avocat de M. Trabelsi.

Le juge Yvan Roy a rejeté la demande de sursis, mais a constaté du même souffle que le renvoi semblait soudain compromis par l’absence « troublante » du principal intéressé.

« De l’avis même de l’avocat qui représente les intérêts du demandeur, celui-ci est introuvable », écrit le juge.

LES AUTORITÉS SILENCIEUSES

M. Trabelsi n’a d’ailleurs pas collaboré aux préparatifs de renvoi. « La Cour a été prévenue […] que le demandeur ne s’est pas présenté au rendez-vous fixé par l’Agence des services frontaliers du Canada pour l’après-midi du 24 mai 2016 », ajoute le magistrat.

L’Agence a refusé de commenter la situation hier. Après avoir publié 62 avis de recherche avec photo de fugitifs qu’elle souhaitait expulser du Canada, à l’époque du gouvernement conservateur, elle affirme maintenant que la loi lui interdit de divulguer des renseignements sur un fugitif.

Joint par La Presse, l’ambassadeur de Tunisie au Canada a préféré ne pas commenter lui non plus, même s’il précise que la récupération des fortunes détournées par les proches de l’ancien régime demeure « très importante pour nous ».

L’affaire risque de faire grand bruit en Tunisie, où le retour éventuel de Belhassen Trabelsi est un sujet récurrent dans l’actualité. En janvier dernier, l’ambassadrice du Canada avait déclaré sur les ondes de la radio locale Mosaïque FM que les recours de M. Trabelsi étaient pratiquement tous épuisés et que le Canada avait la ferme intention de le voir partir. « Le gouvernement est bien du côté de pouvoir l’expulser », avait-elle déclaré, ajoutant : « Ça peut prendre du temps, mais ça va être fait. »

CÉLÈBRE ET CORROMPU

Sous le régime du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, à qui sa sœur était mariée, Trabelsi avait amassé une fortune par toutes sortes de trafics.

« Belhassen Trabelsi est considéré comme le membre le plus célèbre et le plus corrompu de la famille. Il représente tout ce que les Tunisiens détestent chez les Trabelsi », écrivait en 2006 l’ambassadeur des États-Unis William Hudson, aujourd’hui à la retraite, dans un câble diplomatique dévoilé par WikiLeaks. 

« Si la moitié des rumeurs qui circulent à son sujet sont vraies, on peut se demander où il trouve le temps d’être un monstre aussi vorace et sans cœur. »

— William Hudson, ex-ambassadeur des États-Unis

Trabelsi s’est enfui avec sa femme et ses quatre enfants lorsque le régime de son beau-frère a été renversé par un soulèvement populaire, au moment du Printemps arabe, en 2011. Son jet privé s’est posé à Dorval le 20 janvier 2011. « On ne veut pas d’un individu comme lui au Canada », avait alors déclaré le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon.

Ottawa avait aussi agi pour bloquer ses avoirs. Dans son pays, un tribunal l’a condamné en son absence à 15 ans de prison.

Trabelsi et sa famille ont présenté une demande d’asile au Canada. Seuls sa femme et ses enfants ont été reconnus comme des réfugiés. Lui a été jugé inadmissible, car il existait de sérieuses raisons de croire qu’il avait commis des fraudes graves envers l’État tunisien sous la dictature. Il a contesté ce refus, et les procédures se sont poursuivies jusqu’à ce que, le 24 mai dernier, la Cour décide qu’il n’y avait pas de raison de surseoir davantage à son renvoi.

Mais entre-temps, il s’était évanoui dans la nature.

Le bureau du ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale n’a souhaité faire aucun commentaire.

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