RESTAURATION

La naissance
du Manitoba

Une naïve avec « une confiance infinie dans la vie » et un bourreau de travail d’une grande polyvalence. Deux quasi-inconnus du milieu de la restauration. Ils ont eu envie de créer un lieu « cool », convivial, intègre dans un quartier qui n’en était pas très pourvu. Voici l’histoire du Manitoba, ou comment ouvrir son restaurant, de l’idée au premier service.

Elisabeth Cardin, diplômée en écologie, cueilleuse des beaux jours, grande rêveuse devant l’Éternel, souhaitait mettre l’accent sur les produits méconnus du Québec, question de revaloriser la richesse de notre territoire et de notre histoire culinaire. Simon Cantin, copropriétaire de La Firme, entreprise de design et de construction, pouvait l’appuyer en créant un écrin à la fois brut et moderne pour le « restaurant sauvage ».

Le rêve est né avec un local coup de cœur qu’Elisabeth avait loué pour un autre projet. « Une shoppe à bois avec une porte de garage », dans le quartier Mile-Ex. Lorsque le projet initial est tombé à l’eau, la jeune optimiste s’est mise à chercher un nouveau ou une nouvelle partenaire. Elle a « trouvé » Simon Cantin dans un vernissage.

Le nom du restaurant a précédé sa construction. Manitoba. « On cherchait un mot avec une connotation autochtone, mais pas trop. Il fallait que les gens puissent le retenir. Comme nous sommes dans un quartier bilingue, le nom devait pouvoir se dire aussi bien en français qu’en anglais », explique Elisabeth. Mission accomplie.

Le fameux local coup de cœur, tout au bout de la rue Saint-Zotique Ouest, près de l’avenue du Parc, n’avait jamais accueilli de restaurant. Il a donc fallu faire entrer le gaz et refaire la plomberie, l’électricité et l’alimentation d’eau. Bref, transformer un cube de béton en restaurant. Pas une mince affaire.

De l’extérieur, le Manitoba s’apparente davantage à un anodin duplex montréalais qu’à une destination gourmande. Un peu comme le dépanneur Le Pick-up, le bar Alexandraplatz et le restaurant Mile-Ex, ce côté décalé, un peu secret, contribue à son charme.

Une étude récente du CDEC Rosemont – Petite-Patrie avait trouvé que le quartier souffrait d’un manque flagrant, voire urgent de services alimentaires pour les travailleurs et les résidants. Il était donc impératif d’ouvrir midi et soir, avec un service de style cafétéria et un menu soupe, salade, sandwich pour les travailleurs, et des plats plus élaborés, petits et grands, pour la clientèle nocturne. « Mais je veux surtout donner aux gens l’envie de boire ! », lance Elisabeth, adepte de vins nature, de gin et de grosse « 50 ».

L’ARGENT

L’ouverture d’un restaurant peut facilement coûter des centaines de milliers de dollars. Simon et Elisabeth ont voulu bâtir le leur avec le tiers du budget habituel. La jeune trentenaire avait suivi une formation au Service d’aide aux jeunes entreprises (SAJE) au moment de démarrer son projet précédent, une fabrique de savons aux essences boréales nommée Conifère. Elle savait donc comment monter un plan d’affaires.

Après avoir cogné à la porte du CDEC Rosemont – Petite Patrie – qui s’est montré enthousiaste – et présenté le projet à un fonds local d’investissement, à Femme Essor, à la Fondation canadienne des jeunes entrepreneurs et à la Banque de développement du Canada, le Manitoba a pu compter sur 90 000 $. Naturellement, les projets de construction dépassent en général le budget original. Le Manitoba n’a pas fait exception !

CUISINE

En cuisine, il n’était pas question d’embaucher une « vedette » avec un style imposé. Elisabeth voulait un chef souple avec qui elle pourrait travailler de concert pour élaborer la carte. Du reste, le restaurant n’avait pas les moyens de se payer un grand nom.

C’est par l’entremise d’amis d’amis que les partenaires ont trouvé Christopher Parasiuk. Le jeune Albertain avait travaillé au bistro Olivieri et au Nelligan, entre autres. Il avait envie de s’investir à 100 % dans un nouveau projet. Son intérêt pour l’éthique de la cuisine faisait écho à celui des deux propriétaires. Poissons issus de la pêche durable, légumes en saison et des aliments mal-aimés de la gastronomie, comme les abats – qui ont en plus l’avantage d’êtres moins chers que les parties dites « nobles » – seraient au menu.

Christopher et Elisabeth ont établi des liens avec Provender (nouveau « marché en ligne » pour restaurateurs qui travaille avec des fermes locales), Société Orignal et d’autres fournisseurs. Cet été, ils aimeraient faire un jardin dans la cour sur laquelle s’ouvrira la grande porte de garage au fond du restaurant. Elisabeth souhaite également créer un réseau de cueilleurs pour lui fournir des PFNL (produits forestiers non ligneux) bien frais.

N’ayant pas encore de cuisine au restaurant, Christopher a fait des tests de recettes chez lui, chez des amis et chez ses parents. Mais le menu changera un peu chaque semaine, au gré des arrivages, donc inutile, voire impossible, de tout prévoir. Le chef partagera ses chaudrons avec Becca, ancienne collègue, et Hadrien, ex-biochimiste qui a troqué le microscope pour la mandoline.

LE PERSONNEL

Il restait donc à embaucher ces précieux humains qui font le lien entre la cuisine et la salle. Par où commencer lorsqu’on n’a pas le réseau d’un Club chasse et pêche, d’un Toqué ! ou d’un Joe Beef ? Les petites annonces, bien sûr ! Après avoir rencontré une quinzaine de personnes en entrevue, Elisabeth a embauché sept employés : un barman, un busboy, un serveur d’expérience et quatre serveuses.

« J’ai choisi les gens au feeling, mais qui sait comment ça va se passer dans le restaurant, si la dynamique sera bonne entre tout le monde, s’ils seront compétents ? Nos critères les plus importants étaient que les candidats soient dégourdis et motivés et qu’ils tripent sur le projet et sur l’espace. »

Quelques semaines avant que les premiers clients passent le seuil de la porte, le restaurant était toujours un chantier indescriptible. Elisabeth et Simon avaient décidé de renoncer à l’idée d’ouvrir le restaurant avec un espace « parfait ». « Nous savons qu’il y a quand même un buzz autour du Manitoba, du moins dans nos entourages respectifs, et nous avons peur de ne pas être à la hauteur. Mais nous allons faire de notre mieux et nous retenir de googler la tête des critiques de Montréal ! », lance la jeune restauratrice.

Et advienne que pourra !

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