Programme Douance/Excellence

Élèves doués cherchent école publique

Dans une classe de l’école Paul-Gérin-Lajoie, à Outremont, les élèves du groupe de douance, en deuxième secondaire, discutent ferme. Le thème : que penser d’une publicité d’Éducalcool où l’on voit une femme complètement ivre, dans un « party de bureau ».

« Je pense que le message se trompe de cible. Être saoul, c’est discutable, mais je crois que ce n’est pas si grave que ça. Conduire en état d’ébriété, ça, c’est grave ! », avance un adolescent. Sur ces paroles, un autre élève lève la main et se questionne ouvertement sur le message « plutôt négatif » véhiculé par la campagne.

En quelques minutes, les jeunes, éloquents et motivés, retournent le concept dans tous les sens. Rien ne leur échappe.

Ils forment le premier groupe « douance-excellence », un programme unique au Québec. Un peu plus d’un an après le lancement du programme, La Presse est allée constater en classe ce qu’il advient de ces jeunes talentueux qui ont choisi l’école publique.

« Quand je suis arrivée en poste, j’avais l’impression de devoir vendre notre école aux parents du quartier, raconte Gaëtane Marquis, directrice de l’école secondaire. Puis, aux dernières portes ouvertes, c’était une première pour moi : j’ai senti que cette fois, c’étaient les parents qui voulaient me vanter leur enfant. Le vent tourne. »

Depuis l’an dernier, l’école permet à ce groupe d’élèves de terminer le programme scolaire en seulement les deux tiers du temps. Les heures ainsi libérées sont consacrées à des projets spéciaux. La première cohorte commence sa deuxième secondaire, et après un an, l’expérience semble concluante.

« Quand j’ai vu que le programme de douance ouvrait dans cette école, je me suis dit : "C’est fait pour moi !" » affirme, enthousiaste, Charlotte Poudade.

« Oui, on est des bollés, mais personne ne rit de nous. On va seulement plus vite, et ça nous permet de faire des projets. »

— Charlotte Poudade, élève

L’ONF COMME PARTENAIRE

Parmi les défis que la direction lance à ces jeunes doués, les plus ambitieux sont chapeautés par l’Office national du film (ONF). Partenaire du programme de douance de l’école, l’ONF bâtit un plan sur mesure pour ces groupes particuliers. Au fil des années, ils réaliseront d’abord un film selon la méthode « image par image », dirigeront une campagne de publicité sociale et s’initieront peu à peu à l’art du reportage, puis du documentaire.

« Ces jeunes sont très allumés, très cultivés et vraiment intéressés par les arts. C’est très motivant de travailler avec eux », affirme Marc-André Roy, concepteur pédagogique pour l’ONF et chargé de bâtir avec la première cohorte un programme dont bénéficieront les classes de douance qui suivront.

La direction compte donc amener ces élèves à explorer de nouveaux domaines. Pas question de satisfaire leur soif d’apprendre en se contentant d’ajouter des devoirs, répète le directeur adjoint, Christian Girouard : « Ça demande une implication personnalisée de la part de l’école, mais on a vite compris qu’il peut se produire des choses extraordinaires dans cette classe-là. »

La direction a d’ailleurs longuement réfléchi aux orientations qu’elle allait donner à son programme de douance avant de se lancer. Elle a notamment visité une école d’Ottawa où un programme similaire connaît beaucoup de succès. « Ça nous a aidés à déterminer ce que l’on voulait… et ce que l’on ne voulait pas », explique Mme Marquis.

Pour financer son projet, la directrice profite d’une enveloppe de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys réservée aux élèves doués.

SÉLECTION SPÉCIALE POUR ÉLÈVES SPÉCIAUX

L’an dernier, la direction a donc intégré 21 élèves à sa toute première classe de douance. Cette année, 25 jeunes composent la deuxième cohorte. Les élèves ont d’abord dû se soumettre à un examen, mais le responsable du programme est allé plus loin. « On s’est rendu compte que parfois, à l’examen, ça ne se passe pas bien pour certains. Alors on regarde les bulletins, on discute avec nos collègues des écoles primaires pour obtenir des recommandations, et parfois, on fait des entrevues avec les jeunes », précise Christian Girouard.

« Notre première cohorte nous a vraiment prouvé que ces élèves étaient à leur place dans une classe comme celle-là. » — Gaëtane Marquis

« Les enseignants étaient ravis ! Même s’ils sont différents dans leur douance, ils ont plusieurs choses en commun au niveau de leur motivation et de leur créativité. » La direction a aussi ciblé quelques élèves doués dans les autres programmes de l’école, et les a invités à rejoindre la classe de douance pour la deuxième secondaire.

« Il est important de préciser que chez les jeunes doués, le talent ne se manifeste pas toujours de la même façon, ajoute Christian Girouard. Dans notre groupe, nous avons des jeunes qui peuvent être doués en mathématiques et en sciences, mais qui le sont moins en français. Malgré tout, ils peuvent faire partie du groupe. On trouve le moyen de les aider. Certains sont excellents dans tous les domaines, on ne se le cache pas, mais tous nos élèves n’ont pas le même profil… et c’est tant mieux. »

Les jeunes ont perçu cette ouverture. « Oui, les notes sont importantes, mais la direction regarde aussi notre implication à l’école, explique Charlotte. Au fur et à mesure, ils vont nous aider si ça va moins bien dans certains secteurs. C’est bien, ça ! »

Classe transition

Si elle vise les élèves doués, la direction de l’école secondaire Paul-Gérin-Lajoie s’est également penchée sur les besoins particuliers d’une autre clientèle : les jeunes qui ne sont pas tout à fait prêts à faire le grand saut au secondaire. « Le passage du primaire au secondaire est l’une des transitions les plus importantes dans la vie des jeunes. Pour certains, l’anxiété est assez sévère, et ça met en danger leur réussite académique », croit Gaëtane Marquis, directrice. Qu’à cela ne tienne, la direction a créé une classe « transition » pour favoriser l’intégration en douceur de ces jeunes dans la grande école. Au programme : plus de français et de mathématiques, pour permettre à ces élèves d’intégrer les classes ordinaires en deuxième secondaire.

« Aux portes ouvertes, en septembre, notre enseignante de cette classe a été très occupée !, raconte Mme Marquis. Beaucoup de parents étaient curieux et s’intéressaient à ce service. Je n’avais jamais vu un tel intérêt. »

Le salut de l’école publique passe entre autres par les programmes spécialisés, croit la directrice. Particulièrement à Montréal, où de nombreuses écoles privées courtisent les jeunes.

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