À table avec Lorraine Pagé
Ceci n’est pas une syndicaliste féministe retraitée
La Presse
Au départ, le petit-déjeuner avec Lorraine Pagé se voulait une occasion de discuter des élections à Montréal. Après tout, l’ancienne leader syndicale se présente comme conseillère municipale au sein de l’équipe de Mélanie Joly, dans Ahuntsic. Le temps de quelques œufs, tartines et verres de jus d’orange, on pourrait parler circulation, taxes foncières et bus rapides.
Mais quand on retrouve une ancienne professeure d’histoire, féministe de surcroît, en plein débat sur la Charte des valeurs québécoises, au lendemain de déclarations inédites de Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, la discussion ne peut que prendre cette direction. Pour commencer à tout le moins.
Surtout que contrairement à bien des gens, Lorraine Pagé ne croit pas que le projet de laïcisation du Parti québécois soit une mauvaise source de discussion, inutilement déstabilisante.
« Je disais toujours, quand je négociais pour mes syndicats, que toute discussion est bonne parce qu’elle permet d’avancer, même si on ne va pas aussi loin qu’on aurait voulu », dit-elle.
« C’est sain. »
Mais l’ancienne syndicaliste admet que le débat n’est pas facile.
Lorraine Pagé est pour la Charte. Elle l’a dit, l’a écrit. La société québécoise doit établir clairement sa laïcité, prendre position sur le hijab dans la fonction publique, croit-elle. « Moi, ce qui me rend le plus malheureuse, c’est de savoir qu’il y a des femmes qui sont obligées de porter le voile », dit-elle. Les possibles pertes d’emploi si son port dans la fonction publique était interdit l’interpellent aussi. Mais on ne doit pas tenir compte que de cela, affirme la candidate municipale. « Oui, c’est une limite, mais c’est une limite qui me semble raisonnable », note M
Pagé. « Pour moi, c’est plus important de défendre les femmes qui subissent des pressions pour le porter. »Actuellement, au Québec, ce point de vue est controversé, note l’ancienne présidente de la Centrale de l’enseignement du Québec. Plusieurs le voient comme intolérant et le disent haut et fort. « Ce n’est pas facile pour une féministe de gauche de se faire dire qu’on est sectaire », dit-elle. Mais M
Pagé tient solidement à son point de vue.« Vous savez, quand les femmes se sont battues pour obtenir le droit de vote, il y avait des femmes qui ne le voulaient pas. Les féministes étaient divisées. »
Celle qui est à la retraite depuis 10 ans mais qui donne aujourd’hui des conférences sur l’histoire du féminisme à l’Université du troisième âge parle du conditionnement dont les femmes ont été victimes à travers les âges, qui leur a fait accepter des conceptions de la place de la femme dans la société qui sont incontestablement révolues aujourd’hui.
« C’est du choc que naissent les idées », note-t-elle. « Et qu’on ne vienne pas me reprocher de hiérarchiser les droits : ceux qui sont de l’autre côté du débat font la même chose. »
Mais il n’y a pas que la Charte à Montréal ces jours-ci. Il y a aussi les élections municipales. M
Pagé a accepté, après avoir hésité, de se lancer avec l’équipe de la jeune candidate Mélanie Joly. Au départ, elle avait refusé, puis après avoir parlé à ses filles, ses ultimes conseillères dont elle parle avec émotion, elle s’est décidée. « Il est vrai que Mélanie est jeune et n’a pas beaucoup d’expérience. Mais c’est très sain de voir quelqu’un qui ne vient pas du sérail. »Comme féministe qui a toujours prôné une plus grande participation des femmes en politique, M
Pagé ne voit pas comment elle pouvait refuser cette occasion d’aider une jeune femme à percer et aussi de mettre elle-même la main à la pâte. Étant proche de M Joly, elle croit justement pouvoir lui apporter expérience et expertise. « Il faut que les femmes prennent leur place. Et je peux être utile dans mon quartier ! »M
Pagé habite depuis 39 ans dans Ahuntsic, à deux pas de la rivière des Prairies. En 1974, elle s’est installée dans une ancienne maison de ferme qui est aujourd’hui transformée en duplex multigénérationnel qu’elle partage avec la famille d’une de ses deux filles.Née à Montréal – dans le Centre-Sud, angle Panet et Ontario – de parents montréalais et de grands-parents montréalais, M
Pagé se sent profondément montréalaise et est ravie de participer au débat public sur la ville. Elle croit particulièrement à la nécessité d’implanter un système rapide par bus dans la cité, qui dessert plus de gens et de territoire que le métro pour le même prix. Elle aime l’idée de rapatrier une partie de la TVQ générée sur le territoire pour financer la Ville, ce qui adoucirait la dépendance au développement immobilier et à ses taxes foncières. Elle propose aussi de demander aux sociétés reconnues coupables de fraude envers la Ville de payer leur dette par le travail. Comme ça, explique-t-elle, on ne pénalise pas les « travailleurs ordinaires » de ces entreprises qui n’ont jamais vu l’argent empoché par les patrons.« C’est une idée pragmatique », dit-elle.
Bref, la défenseure des travailleurs n’est jamais loin.