PHOTOSHOP

25 ans, et pas une ride

Il y a 25 ans arrivait sur les rayons un curieux logiciel, Photoshop, refusé par plusieurs entreprises avant qu’ Adobe ne le commercialise. Il a d’abord chamboulé le travail des graphistes, puis des photographes, et permis à des millions de personnes de s’improviser l'un ou l’autre. Six mots pour comprendre la « révolution Photoshop ».

AVANT

Difficile d’imaginer le processus de création graphique avant Photoshop, à moins de l’avoir vécu. « On faisait l’illustration manuellement, on la numérisait, on procédait à la séparation des couleurs pour l’envoyer par Purolator à l’autre bout du monde, raconte l’illustrateur montréalais Alain Le Brun, alias Lino. Notre client faisait la correction au téléphone, il fallait tout retravailler à la main, décoller, couper, remettre de la peinture. » On ne peut évidemment séparer Photoshop de la rafale de changements radicaux entrés dans nos vies à la même époque, comme l'internet, la photographie numérique et les ordinateurs personnels plus puissants.

DÉMOCRATISATION

À l’origine, le créateur de Photoshop, Thomas Knoll, pensait vendre 500 exemplaires par mois, tant ce logiciel semblait destiné à une clientèle spécialisée. En 2010, la seule fois où Adobe a rendu publique une estimation, on dénombrait 10 millions d’utilisateurs dans le monde. « C’est incroyable, dit Nelu Wolsensohn, professeur à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal. Ce qui était le secret bien gardé d’une profession et le terrain de chasse d’une pratique professionnelle est devenu à la portée de tout le monde. » Experts et utilisateurs occasionnels ont rapidement aimé la facilité d’utilisation incomparable du logiciel, couplée à des possibilités presque infinies. « Monsieur et madame Tout-le-Monde ont pu s’improviser designers graphiques, ce qui n’a pas eu que des conséquences heureuses », note Valérie Yobé, professeure et chercheuse à l’École multidisciplinaire de l’image de l’Université du Québec en Outaouais.

CONCURRENCE

L’arrivée de millions de graphistes en herbe a évidemment fait mal à la profession. « Mes étudiants doivent se battre contre des gens qui se disent graphistes et vous font votre carte pour 25 $ », dit la professeure Valérie Yobé. « Ç’a attiré tout un tas de gens qui n’avaient pas à la base du talent en dessin, et qui se sont mis à faire de l’illustration », remarque l’illustrateur Lino. Il note que « le métier de graphiste en a pris pour son rhume », surtout les premières années, qu’il qualifie d’« époque frivole de Photoshop ». « Aujourd’hui, ça s’est replacé, mais il y a eu une période étrange où le marché était inondé de matériel visuel très pauvre. »

RAPIDITÉ

Photoshop, et la flopée d’outils technologiques qui rendent possible son utilisation, a permis d’accélérer la production graphique à un rythme presque inconcevable il y a 25 ans. L’artisan a maintenant dans son ordinateur les mille et un objets qu’il rangeait dans son atelier – brosses, règles, filtres, pinceaux et ciseaux. « En plus, on a maintenant la possibilité de revenir en arrière, à des étapes précédentes, autant de fois qu’on le veut », dit Nelu Wolsensohn. Pour le photographe Jean-François Bérubé, c’est toute l’étape de la chambre noire qui a été accélérée. « C’est dans son nom : Photoshop a des outils directement inspirés de la chambre noire, la petite baguette, les courbes de densitométrie, la possibilité de trafiquer les photos. »

MANIPULATION

C’est le côté le plus sombre de Photoshop : il a fait de la modification des photos une technique à la portée de tous, parfois au détriment de l’éthique. Pour la première fois en six décennies, le World Press Photo s’est publiquement inquiété cette année de cette tendance à la « manipulation ». « Photoshop est très puissant pour altérer la réalité d’une façon qui peut être peu éthique », estime Sandrine Prom Tep, professeure au département de marketing de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Rien de bien nouveau sous le soleil, note le photographe Jean-François Bérubé. « Depuis l’invention de la photographie, on a effacé des personnes, changé la couleur du ciel et trafiqué des photos. Avec Photoshop, c’est simplement devenu beaucoup plus rapide. » Dans une publicité devenue célèbre, le fabricant de produits de beauté Dove a jeté un pavé dans la mare dès 2006 en illustrant à quel point Photoshop avait « distordu » notre perception de la beauté.

STANDARDISATION

L’illustrateur Lino, qui commence encore ses affiches sur un « support manuel » plutôt que sur l’ordinateur, déplore une certaine « normalisation » graphique. « L’aspect graphique est trop souvent laminé, à cause par exemple de l’utilisation des brosses dans Photoshop et des couleurs appliquées de manière uniforme. » Pour Nelu Wolsensohn, au contraire, le nombre de possibilités de Photoshop est tellement grand qu’il est un « outil qui aide la création ». « Il a introduit dans la pratique de l’artiste visuel un nouveau geste de création : celui de choisir parmi les milliers de possibilités qui s’offrent à lui. »

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