Chronique

Pédaler à Montréal… comme en Europe

La ville de Montréal a beau être un cas à part en Amérique du Nord, elle ne serait tout simplement pas considérée comme une ville de vélo si elle était en Europe. Elle ne serait pas citée en exemple, ne serait pas un modèle à suivre.

En revanche, le Plateau, lui, aurait sa place parmi les quartiers cyclables par excellence du Vieux Continent, croit l’économiste français Philippe Crist. L’administration Ferrandez a compris, en effet, une chose qui échappe à Montréal : l’objectif n’est pas de répondre aux demandes des cyclistes.

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Invité par Vélo Québec à pédaler dans la métropole et à donner la conférence principale du festival Go Vélo Montréal demain, Philippe Crist est l’un des rares économistes à consacrer son temps à la bicyclette.

Dans ses temps libres, certes, mais aussi comme chercheur et analyste à l’International Transport Forum, une organisation de l’OCDE qui conseille les ministres des Transports de 54 pays. Cela lui a permis de visiter bon nombre de villes dans le monde et de comparer les bons coups et les moins bons, les bons élèves et les moins bons.

« Montréal est la meilleure ville pour faire du vélo en Amérique du Nord », sans conteste, m’a-t-il dit en entrevue. Mais ce n’est pas tant la métropole qui se distingue par son exemplarité… que la plupart des villes du continent qui se complaisent dans la médiocrité, sans même tenter d’intégrer les cyclistes au réseau routier.

Si Montréal veut s’améliorer, donc, s’il veut accroître le nombre de déplacements à vélo, s’il veut véritablement prendre le virage de la mobilité durable, il doit se projeter dans un contexte européen. C’est la seule façon d’éviter le tout-à-l’auto, selon ce Franco-Américain qui a grandi aux États-Unis.

« Vous n’allez quand même pas vous comparer aux autres villes d’Amérique du Nord ! Ce serait un manque d’ambition ! Crist, Montréal peut faire mieux ! », lance-t-il en se moquant de son propre nom de famille.

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Si Montréal était européen, il ne serait pas au niveau de Copenhague et d’Amsterdam, mais il rivaliserait avec Nantes, Grenoble, Madrid, Barcelone, Séville. Autant de villes où la culture automobile est forte, mais qui font d’énormes efforts pour accorder plus de place aux cyclistes.

« Séville, par exemple, a réussi à faire passer la part des déplacements à vélo de 1 à 6 % en seulement quatre ans », se réjouit Philippe Crist. À titre comparatif, Montréal a fait passer ce taux de 1,5 à 2 % de 2003 à 2008, et il est de 10 % sur le Plateau.

Comment accentuer le virage de la mobilité durable ? « Cesser de répondre aux demandes des cyclistes les plus aguerris, une stratégie qui se résume trop souvent à quelques coups de pinceau au sol », explique Philippe Crist.

Le chercheur donne l’exemple de Londres, qui a cru bien faire en mettant en place les Cycle Superhighways, des « super-autoroutes pour vélos ». La Ville a ainsi peint en bleu des bandes cyclables le long des artères passantes pour faciliter la vie des navetteurs qui roulent déjà à bicyclette.

« Tout le problème est là. On a invité
les cyclistes à emprunter un réseau sans l’avoir d’abord sécurisé. On a ainsi déploré plusieurs accidents mortels depuis l’inauguration de ces autoroutes
pour vélo. » — Philippe Crist

L’objectif ne doit pas être de transformer la ville pour les cyclistes. Ce doit plutôt être de la transformer pour qu’elle devienne assez sûre pour accueillir de nouveaux cyclistes, ce qui passe par deux choses : des infrastructures cyclables protégées et une réduction significative de la vitesse automobile.

« L’objectif, au fond, doit être d’aménager la ville pour qu’elle devienne une invitation à la pratique du vélo. »

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Si on déménageait le Plateau en Europe demain matin, les Européens ne s’en rendraient peut-être pas compte, car ce quartier se développe sur les mêmes bases urbanistiques que les villes modèles du Vieux Continent, selon Philippe Crist.

L’annonce qu’a faite le maire Luc Ferrandez la semaine dernière en fait foi : il mise non pas sur un simple prolongement des pistes cyclables, mais sur la sécurisation des rues, une stratégie qui passe notamment par l’accroissement du réseau cyclable protégé et la réduction de la vitesse permise.

« Ce sont les deux clés », croit Philippe Crist, qui cite en ce sens des exemples comme Amsterdam, Tokyo et Paris. « À Paris, on a réduit la vitesse à 30 km/h sur environ 38 % du territoire. Et là où la Ville ne pouvait le faire, elle a implanté des pistes cyclables sécuritaires, protégées physiquement de la circulation automobile. Même chose à Kyoto, où on a réduit la vitesse dans bien des zones, lesquelles ont ensuite été reliées par des pistes cyclables séparées. »

« Le principe est intéressant pour une ville comme Montréal, qui a tout pour être une ville internationale de vélo », conclut Philippe Crist. Pas seulement la capitale cyclable d’un continent fou de l’auto.

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