CHRONIQUE

La loi et les zélotes

Le sort du projet de loi 14 sur le renforcement de la loi 101 reste incertain. Les libéraux ayant annoncé leur intention de voter contre, tout est désormais entre les mains de la Coalition avenir Québec. Si elle vote non à son tour, cela lui vaudra les hauts cris des péquistes, qui la rangeront parmi les ennemis du français.

Cette accusation sera injuste et loufoque, d’autant plus que la ministre Diane De Courcy, à l’issue de la Commission parlementaire, n’a jamais voulu révéler si elle accepterait les amendements proposés par la CAQ.

Si, au contraire, la CAQ accepte l’examen du projet article par article, elle risque de perdre largement son temps et n’aura pas le choix de faire couler le projet si le gouvernement refuse les amendements auxquels elle tient le plus. Par contre, elle aura alors fait la preuve de sa bonne foi et sera à l’abri des soupçons les plus perfides.

Dommage, tout de même, qu’en cette matière si délicate, le gouvernement Marois ait fait le jeu de la mini-bande de zélotes qui n’en finit plus de réclamer toujours plus de coercition et plus d’intolérance. Il est d’ailleurs très frappant de constater que ce sont toujours les mêmes, depuis bientôt un demi-siècle, qui s’autoproclament les défenseurs du français.

Ainsi du démographe Charles Castonguay, qui prédit depuis 1974 la disparition du français et revient encore au front avec ses prévisions apocalyptiques. Ou de l’omniprésent Mario Beaulieu, l’ancien petit chef de l’association Montréal-Centre du PQ, qu’on retrouve depuis des décennies à la tête des organismes nationalistes… Sans compter le petit groupe qui se spécialise dans la délation systématique, traquant les dépanneurs tamouls et les bistros qui affichent WC sur leurs toilettes.

Loin d’être des amoureux de la langue française, ces gens-là sont des obsessionnels ancrés dans la mentalité du pauvre-petit-peuple-exploité des années 60, confits dans le ressentiment et la paranoïa, une paranoïa qui leur fait voir les autres – les anglos, les immigrants, les francophones ouverts sur le monde – comme des menaces perpétuelles.

Ce petit groupe ne serait qu’un épiphénomène si le PQ et quelques apparatchiks syndicaux n’y prêtaient pas tant d’attention. (La CSN a emboîté le pas au Syndicat des fonctionnaires du gouvernement pour réclamer la disparition des hôpitaux et des cégeps anglophones ! La CSN a-t-elle consulté ses membres là-dessus ?)

Heureusement pour la santé démocratique du Québec, les plus sévères critiques de ce projet de loi ont été des francophones. Le Barreau du Québec, la Commission des droits de la personne, les associations représentant les gens d’affaires petits et gros, la Fédération des cégeps…

L’opposition des anglophones était prévisible, mais de très larges pans de la société francophone se sont élevés contre ce projet de loi excessif, qui étoufferait les petites entreprises sous le poids de règlements vexatoires et qui comporte nombre d’atteintes aux droits des minorités.

La CAQ a raison de suggérer l’incitation plutôt que la coercition pour les petites entreprises ; raison, aussi, de s’opposer au retrait du statut bilingue des municipalités dont la population anglophone serait passée sous la barre des 50 %. Tous les maires qui se sont succédé à la commission parlementaire ont exprimé la même position, y compris le maire de Lachute, un ancien candidat du PQ !

Mais la CAQ aurait tort de limiter son opposition à ces trois questions. Il y a bien d’autres choses à modifier dans ce projet de loi, notamment ceux qui, comme le signalent le Barreau et la Commission des droits, contreviennent aux chartes des droits et sont, dixit le Barreau, « injustifiables dans une société libre et démocratique ».

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