Conférence de Munich sur la sécurité

Champion du multilatéralisme recherché

Le multilatéralisme traverse un très mauvais moment. Avant l’élection de Donald Trump, il a été singulièrement miné par les actes unilatéraux et illégaux des deux grandes puissances mondiales. Les Américains ont envahi l’Irak et tué quelque 200 000 personnes sans subir la moindre punition. La Russie a annexé la Crimée et s’est retrouvée sous un régime de sanctions dont l’effet est loin de l’intimider.

Le président américain amplifie le caractère brutal du comportement des grandes puissances avec son slogan à l’appui du « chacun pour soi », à un point tel que même les alliés traditionnels sont régulièrement bousculés, voire insultés. Comment calmer les choses et renouer avec l’esprit de dialogue et de coopération qui fut le ciment de l’Occident et le succès du multilatéralisme ? C’est de cela que les participants à la 55e édition de la Conférence sur la sécurité, à Munich ce week-end, étaient invités à débattre.

Les organisateurs de la conférence ne se faisaient aucune illusion quant à l’issue du débat. Quelques jours avant l’ouverture de la rencontre, ils ont publié un document d’orientation, intitulé The Great Puzzle : Who Will Pick up the Pieces ?, où ils traçaient un sombre bilan des affaires du monde et décrivaient l’affaissement du multilatéralisme ainsi que le retour de la concurrence entre grandes puissances. Quant au président de la conférence, il redoutait que beaucoup d’intervenants aient prévu de discuter « des uns et des autres plutôt que les uns avec les autres ».

C’est exactement ce qui est arrivé, et la salve la plus dure est venue des Américains. Le vice-président Mike Pence a présenté la vision américaine du multilatéralisme, un multilatéralisme à la carte, teinté d’obéissance et de soumission.

Il n’a rien trouvé de plus intelligent à dire que d’enjoindre aux Européens de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien et de les menacer de sanctions si cela ne se faisait pas.

Le secrétaire d’État Mike Pompeo a bien tenté d’arrondir les coins, mais il venait de passer deux jours à Varsovie à diviser les Européens, encore une fois sur la question iranienne. La conférence de Varsovie, présentée comme un forum sur la sécurité au Proche-Orient, s’est transformée en une rencontre contre l’Iran. Les ministres des Affaires étrangères des pays convaincus étaient présents, les pays européens sérieux comme la France, l’Allemagne, l’Italie et bien d’autres avaient délégué de simples fonctionnaires, et plusieurs pays jouant un rôle clé dans cette région étaient absents : Turquie, Russie, Liban, Palestine et Iran. Dans ces circonstances, les participants convaincus se sont congratulés du « beau succès » de leur rencontre.

Au même moment, un autre exemple de ce multilatéralisme à la carte se déroulait à Sotchi, en Russie, où Vladimir Poutine recevait ses homologues turc et iranien pour discuter de la crise syrienne.

Le paysage n’est donc pas reluisant, et on voit mal comment il changera à court et à moyen terme. Déprimé, le président de la conférence de Munich a souligné que « les pièces principales de l’ordre international sont en train d’éclater » et que « personne ne sait qui recollera les morceaux ni s’il y aura un pays qui voudra le faire  ».

Pour autant, cela n’a pas empêché le document d’orientation de suggérer le Canada comme potentiel champion du multilatéralisme.

Sous le titre accrocheur de « Maplelateralism », l’article vante les orientations libérales et internationalistes du gouvernement actuel, mais ne cache pas ses faiblesses en matière d’engagements concrets sur la scène internationale. Le Canada est de retour, dit le slogan du gouvernement libéral, mais où exactement, s’interroge l’auteur de l’article.

Il n’en fallait pas plus pour que la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, présente à Munich, rappelle que le Canada continuera à défendre un ordre mondial fondé sur le respect des règles. À ce titre, elle compte beaucoup sur «  la création de coalitions spécifiques autour de questions spécifiques  » pour construire une vision commune du monde et combler le fossé séparant les États.

Cette approche est sans doute applicable à des questions, disons, secondaires, comme l’interdiction des mines antipersonnel, mais elle peut se révéler porteuse de divisions comme le démontrent les réactions à la création de la coalition spécifique américaine contre l’Iran.

Le Canada est-il donc bien placé pour relancer et soutenir efficacement le multilatéralisme ? On peut en douter. Le multilatéralisme ne peut fonctionner sans l’apport des grandes puissances, mais aussi des pays émergents dont certains sont tentés par une politique de puissance.

À partir du moment où le Canada entretient des relations difficiles, sinon exécrables, avec les quatre puissances mondiales – États-Unis, Russie, Chine et Inde –, sa capacité à rassembler autour d’objectifs communs des pays qui pensent comme lui, mais dont la politique étrangère est de cultiver leurs relations avec ces mêmes puissances, relève du travail de Sisyphe.

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