Sexe

« Il y a des rats qui baisent, là-dedans ? Non ? Bon. Regardez bien. »

Jim Pfaus se met à secouer le bassin en comptant tout haut les coups qu’il donne dans le vide. Le professeur transmet aujourd’hui à son étudiante Lucy Farisello un savoir bien particulier : l’art de stimuler sexuellement des rats femelles. Et pour bien faire comprendre le concept, il mime un rat mâle en pleine copulation.

Nous sommes dans un laboratoire au sous-sol du campus Loyola de l’Université Concordia. Au mur, un t-shirt rose sur lequel est inscrit CLITORIS trône au-dessus de dizaines de cages remplies de rats. Plus loin, un autre proclame « I love BJ » (j’aime les fellations).

Une fois la démonstration terminée, Jim Pfaus passe à la pratique. Un pinceau pour chatouiller le clitoris de la rate, une tige de verre pour imiter le pénis du mâle, une bouteille de lubrifiant : ses instruments de travail devant lui, le chercheur montre comment amener le petit animal au septième ciel.

« Je sais, je sais, tu veux te faire baiser, murmure-t-il à la rate avant de s’exécuter. Ne t’inquiète pas, on va t’arranger ça. »

Chaussures Converse, boucles d’oreille, t-shirt du groupe rock Joy Division, bermuda kaki d’où pend une chaîne : Pfaus semble arriver tout droit du square Berri, où il aurait laissé son squeegee. À 55 ans, il rejette les règles voulant qu’un chercheur universitaire corresponde à une certaine image. Dans son cou est tatoué un caractère chinois qui signifie à la fois « chaos » et « plaisir sexuel ».

« J’ai été punk. Je suis encore punk », lance-t-il.

UNE RÉPUTATION
INTERNATIONALE

Penché au-dessus de la cage, le chercheur excite la rate avec une assurance qui reflète son expérience. S’il se préoccupe tant du plaisir du petit animal, c’est qu’il tente d’en comprendre les mécanismes neurologiques.

À la fois neuroscientifique et spécialiste en psychologie expérimentale, le Dr Pfaus consacre sa carrière à comprendre comment l’excitation, le désir, le plaisir sexuel et l’inhibition se manifestent dans le cerveau. Ses travaux ont fait l’objet de plus de 150 publications, ce qui fait de lui l’un des experts en neurologie du comportement sexuel les plus cités et les plus respectés du globe.

Jim Pfaus passe maintenant ses instruments à Lucy Farisello. Mais contrairement aux manœuvres du professeur, celles de l’étudiante ne semblent pas plaire à la rate, qui rue dans sa cage en projetant des copeaux dans toutes les directions.

« Allez, allez, tu es trop délicate, lance Jim Pfaus à son étudiante. Tu es un rat mâle ! Rentre-lui ça bien comme il faut ! »

La jeune étudiante finit par pouffer de rire, incapable de continuer. Il lui faudra quelques minutes avant de reprendre son sérieux.

Grâce aux conseils de Jim Pfaus, la rate finira néanmoins par trouver son plaisir. Normalement, elle aurait payé cher cette volupté imposée. Après avoir soumis ses rats à toutes sortes d’expériences sexuelles, Jim Pfaus a l’habitude de leur couper la tête avec une petite guillotine. Puis il leur tranche le cerveau et, grâce à des marqueurs d’activité neuronale, examine quelles zones ont été activées.

Cette rate a eu de la chance : elle servait à former Lucy. Elle aura donc droit à la jouissance et à la vie. Pour cette fois.

LE SEXE COMME PASSION

Pourquoi consacrer une carrière à étudier le sexe ? Jim Pfaus sourit à cette question.

« Mes motivations sont très simples : j’ai toujours été intéressé
par le sexe. C’est la chose qui m’intéresse le plus dans la vie. »

— Jim Pfaus, neuroscientifique
et spécialiste en psychologie expérimentale

Installé à son bureau, quelques étages au-dessus de son laboratoire, Pfaus répond aux questions sans détour. Précis, drôle, souvent très cru, il devient parfois étonnamment sérieux lorsqu’il se lance dans des explications.

Autour, la pièce pourrait faire office de musée. Sur le sol traînent un étui à guitare, un casque de vélo et un sac de sport. Les étagères et le rebord de la fenêtre sont couverts de figurines montrant lapins, girafes et autres petits cochons dans toutes sortes de positions sexuelles. Sur le bureau, un ouvre-bouteille en forme de vibrateur côtoie une grosse sucette portant la marque Viagra.

Surplombant le tout se trouve une grande affiche sur laquelle on peut lire « Mold » – le groupe punk rock dans lequel Jim Pfaus a longtemps chanté et joué de la guitare. 

À travers ces références au sexe et à la dissidence, plusieurs photos révèlent un autre aspect de la vie de Jim Pfaus. On y voit un bébé, puis un petit garçon prenant la pose sur des terrains de soccer et dans des arénas.

« Mon fils, Josh », dit fièrement le chercheur.

UN PREMIER ORGASME
QUI MARQUE

Né au Maryland, Jim Pfaus a grandi en essayant de déchiffrer ce monde pour adultes qu’on appelle le sexe.

« Mon père a essayé de m’expliquer tout ça, mais je crois qu’il n’a pas fait un très bon travail », lance-t-il.

En troisième année, le jeune Jim écrit « sex » sur son cahier d’école, un geste qui lui vaut une visite chez le directeur.

« Le directeur était tout rouge et n’arrivait plus à parler. J’ai fini par être suspendu. Je me disais : tout ça pour un mot de trois lettres ? Pour moi, ça n’avait aucun sens. J’étais fasciné. »

Puis surviennent l’adolescence et le premier orgasme de Jim Pfaus-une expérience qu’il a déjà décrite en détail devant 300 personnes lors d’une conférence.

« Mon premier orgasme, ç’a été
la grosse affaire. Avant, je lisais L’Iliade
et je ne comprenais pas ce qu’il y avait de si extraordinaire à propos d’Hélène. J’ai compris d’un coup et commencé
à voir le monde de cette façon. Et je n’avais même pas 12 ans. C’était avant de découvrir toutes ces choses. »

— Jim Pfaus

Jim Pfaus enchaîne – sans qu’on lui pose la question – en racontant comment il a perdu sa virginité : « Très tôt, avec une femme plus âgée. »

« Bientôt, j’ai compris que tous mes amis mentaient à propos du sexe, ajoute-t-il. Ça aussi, ça m’a fasciné. »

Jim Pfaus finit par en faire une obsession : comprendre pourquoi les orgasmes sont si bons. En 1981, des scientifiques israéliens démontrent que le taux de dopamine dans le cerveau des rats augmente après l’éjaculation.

« Pour moi, ça a été le déclencheur », explique-t-il.

Plus de 20 ans plus tard, il a lui-même tellement travaillé avec les rats qu’il est devenu allergique. Malgré ses yeux rouges et ses problèmes de peau, il continue à laisser les animaux grimper sur lui, à les cajoler et à les bécoter.

« Je les adore », dit-il.

Il décrit sa quête pour comprendre le sexe comme « un grand plongeon dans l’inconnu ».

« Je ne regrette tellement rien, dit-il. Le sexe, pour moi, est au sommet de la hiérarchie. Il est la raison d’être de nos existences, il est partout et imprègne tout ce qu’on fait. Sa répression, particulièrement chez les femmes, est une abomination, à mettre presque au même niveau que les meurtres, le racisme et les inégalités sociales. »

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