Catalogne

Le village qui a ouvert la voie du renouveau indépendantiste

À moins d’une nouvelle interdiction juridique, les Catalans se prononceront sur leur relation avec l’Espagne le 9 novembre à l’occasion d’une consultation sans valeur légale, qui pourrait déboucher ensuite sur une élection plébiscitaire. Le renouveau indépendantiste qui gagne la région autonome depuis quelques années a pris naissance dans une petite municipalité au nord de Barcelone, Arenys de Munt.

ARENYS DE MUNT, Catalogne — Quand le ciel se déchaîne au-dessus d’Arenys de Munt, la rue principale se transforme en rivière. Dans cette petite commune sise au creux des montagnes, à quelques kilomètres de la Méditerranée, on a l’habitude des remous. C’est ici que s’est déclenchée la vague de consultations populaires sur l’indépendance, à la source de la vague souverainiste qui touche la Catalogne depuis cinq ans.

« C’était un exercice de pédagogie. Nous voulions d’abord informer les gens sur le droit à l’autodétermination des peuples », se remémore Josep Manel Ximenis, initiateur de cette consultation.

« Nous étions conscients que ça forcerait les Catalans à retirer le voile qui les empêche de voir qu’ils sont oppressés depuis 300 ans. »

Le scrutin d’Arenys de Munt, tenu le 13 septembre 2009, a suscité les passions. L’État espagnol a tenté de freiner le processus, des groupes d’extrême droite ont menacé les organisateurs et, au final, les indépendantistes l’ont emporté avec un résultat sans équivoque de 96 %. Quatre électeurs sur dix ont participé à l’exercice, même s’il n’avait rien d’officiel.

En moins de deux ans, des votes similaires se sont tenus dans 544 des 947 municipalités de la région. Ont suivi les manifestations monstres de la Diada, la fête nationale. Tous les 11 septembre depuis 2012, des centaines de milliers de Catalans descendent dans la rue à Barcelone.

Cinq ans plus tard, M. Ximenis revient volontiers sur cet événement phare de la dynamique politique espagnole. Assis à un café de la place centrale de cette petite communauté située à 45 km au nord de Barcelone, il n’hésite pas à parler d’un « avant et d’un après Arenys de Munt ».

Les chiffres lui donnent raison. L’indépendance, qui plafonnait à 20 % d’appuis avant cette première consultation citoyenne, séduit désormais un Catalan sur deux.

« J’ai la certitude que dans chaque Catalan se trouve quelqu’un qui aime son pays et désire sa liberté », enchaîne le souverainiste convaincu, qui a été maire de la commune de 2011 à 2013.

« UNE RICHE HISTOIRE DE CATALANISME »

Arenys de Munt était le berceau tout désigné de ce renouveau indépendantiste. « Il y a une riche histoire de républicanisme et de catalanisme ici. C’était un bastion révolutionnaire durant le règne de Franco », rappelle M. Ximenis.

« Être catalan et originaire d’Arenys de Munt, c’est le summum », lance Ferran Mitjà, propriétaire d’un restaurant de la rue principale.

À quelques pas de son commerce se trouve l’hôtel de ville. Sur la façade, pas de trace du drapeau espagnol. Seules la senyera et l’estelada, emblèmes de la Catalogne et de son indépendance, se laissent bercer par la brise. Onze des treize élus locaux sont d’allégeance souverainiste.

Dans un tel paysage, Ramon Planas fait figure de curiosité. L’entrepreneur de 34 ans a réussi l’exploit de devenir le premier élu local du Parti populaire, la formation du président espagnol Mariano Rajoy. Une formation politique qui, contrairement à ce que son nom indique, est bien peu prisée en Catalogne.

« Si tu dis que tu te sens à la fois Espagnol et Catalan, on te regarde comme si tu n’étais pas à la mode. Comme si l’identité était une mode ! », dénonce M. Planas.

DU PEUPLE VERS LES POLITICIENS

La consultation d’Arenys de Munt a été mise sur pied par une association citoyenne et, en ce sens, elle illustre bien la nature du courant souverainiste catalan. « Le pouvoir du peuple fait pression sur des politiciens qui étaient jusqu’alors très à l’aise avec le régime espagnol en place », résume M. Ximenis.

Ce soulèvement populaire a entraîné le président Artur Mas dans son sillon. Le politicien de centre droit n’avait jamais clairement prôné l’indépendance de la région avant 2012. 

M. Ximenis doute du chemin emprunté par le président catalan, qui a transformé le référendum du 9 novembre en consultation sans valeur légale pour respecter la loi espagnole. Dans sa nouvelle version, cette consultation a été qualifiée de « simulacre » par Madrid, qui a tout de même décidé d’en contester la légalité cette semaine.

« Si Artur Mas répond davantage au Tribunal constitutionnel qu’aux gens qui l’ont élu, ça déçoit tout le monde. On ne deviendra jamais indépendant si on se borne à respecter les règles, tranche M. Ximenis. Il y a deux ans, j’étais optimiste, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

M. Ximenis peut au moins se réjouir. Si la Catalogne n’accède pas à son indépendance, Arenys de Munt concrétisera son statut de « territoire libre et souverain » adopté par le conseil municipal en 2012, au moment où il était maire. Parce qu’à Arenys de Munt, l’intention de se faire un pays distinct de l’Espagne est claire, que ce pays soit de 7,5 millions d’habitants ou de 8500.

LE RENOUVEAU INDÉPENDANTISTE EN QUELQUES DATES

13 septembre 2009

Première consultation populaire à Arenys de Munt.

28 juin 2010

Le Tribunal constitutionnel révoque plusieurs articles de l’Estatut, le pacte d’autonomie de la Catalogne, dont le statut de nation.

10 juillet 2010

1,2 million de Catalans manifestent leur mécontentement par rapport à la révocation du statut de nation.

11 septembre 2012

Première de trois fêtes nationales marquées par de grandes manifestations pro-indépendance.

9 novembre 2014

Consultation populaire sans valeur légale, à moins d’interdiction juridique.

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