OPINION

VENTE DE CANNABIS DANS LES DÉPANNEURS
La pire des idées

Il ne faut pas donner suite aux visées du président d’Alimentation Couche-Tard

L’échéance de la légalisation du cannabis arrive à grands pas. Il est minuit moins cinq et on se presse au portillon pour y aller de sa proposition.

Si l’écrasante majorité des intervenants en santé publique, en prévention de la toxicomanie et des chercheurs spécialisés sur le sujet s’entendent pour proposer la création d’une société d’État, l’indécision de Québec sur ce sujet cultive les ambitions de certains acteurs du secteur privé.

En début de semaine, le président d’Alimentation Couche-Tard, Alain Bouchard, a exprimé clairement les ambitions de son groupe : il demande au gouvernement de lui laisser le soin de vendre le cannabis récréatif en promettant de se plier aux exigences gouvernementales. Pourtant, tant la littérature scientifique, les exemples étrangers que le simple bon sens nous indiquent qu’une telle orientation serait la pire des idées.

Augmentation de la consommation

Il est généralement admis que la participation du secteur privé à la vente d’un produit de ce type a le plus souvent comme conséquence de faire augmenter la consommation et les problèmes de santé qui lui sont liés.

M. Bouchard peut alors bien voir le recours à une société d’État comme « un retour en arrière », il s’avère plutôt que c’est le choix de passer par ses commerces qui serait une fuite en avant.

La légalisation vise à fournir un cadre sécuritaire pour la consommation du cannabis. Cela implique de mettre en place des tests rigoureux pour assurer la qualité du produit, de développer des programmes de prévention et d’éducation aux saines habitudes de consommation et de mettre en place un cadre pour la vente qui ne soit pas tourné vers des objectifs commerciaux.

Ce qu’il faut donc, c’est un cadre strict non pas pour culpabiliser les gens qui consomment, mais simplement pour assurer que l’on réduise les risques liés à cette consommation.

Dans un tel cadre, la présence d’un acteur comme Couche-Tard risque plutôt de tout faire déraper. Cette entreprise, qui a réalisé un bénéfice net frôlant le 1,2 milliard, est le principal acteur dans le secteur des dépanneurs en Amérique du Nord. Cette position dominante sur le marché disqualifie l’entreprise en ce qui a trait à la vente du cannabis : il serait difficile de faire respecter les règles du jeu décidées par Québec à un tel acteur qui aura une influence trop grande sur les décisions gouvernementales en matière de réglementation.

Exemples américains

C’est justement ce que les exemples au sud de la frontière tendent à montrer. Les entreprises privées présentes dans le secteur du cannabis organisent des activités de lobbying afin d’assouplir les cadres réglementaires mis en place par les pouvoirs publics. Leur objectif est simple : d’abord faire mine de se plier de bonne grâce aux règles pour ensuite les critiquer et insister sur les limites qu’elles posent au libre développement de leur activité commerciale.

Couche-Tard, qui déjà a entamé des activités de lobbying dans le dossier du cannabis, sans compter ses énergies passées à pousser le gouvernement à privatiser la SAQ, est précisément le type d’entreprise qui a toutes les chances, à moyen et à long terme, de développer des pratiques contraires aux visées de santé publique.

Ce que l’on observe au Colorado ou dans l’État de Washington, ce sont des entreprises qui ciblent les jeunes et les gros consommateurs, qui développent des produits à haute teneur en THC et qui mettent en place des stratégies de marketing afin de faire la promotion de la consommation.

En fait, ce que la littérature scientifique indique est tout simple : l’incitatif au profit qui motive les entreprises privées incite à des comportements contraires aux objectifs de la légalisation.

On voit plutôt la formation, comme pour l’industrie du tabac avant elle, d’une industrie qui protège d’abord ses propres intérêts.

Lors de la rencontre d’experts organisée par le gouvernement du Québec au printemps, un consensus s’est dégagé pour mettre en garde la ministre responsable par rapport aux risques d’une participation du secteur privé pour la vente du cannabis. Reste à espérer que la parole de M. Bouchard ne pèsera pas plus lourd au final.

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