Frappes en Syrie

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Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont conjointement lancé des frappes aériennes, hier soir, contre le régime syrien de Bachar al-Assad, qu’ils accusent d’avoir perpétré une attaque chimique à Douma. Ce que vous devez savoir.

Frappes en Syrie

Explosions et colonnes de fumée à Damas

Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont mené samedi (heure locale) des frappes ciblées contre la Syrie pour punir le régime de Bachar al-Assad, accusé par Donald Trump d’avoir mené des attaques chimiques « monstrueuses ».

Au moment même où le président américain s’exprimait depuis la Maison-Blanche, des détonations étaient entendues à Damas, marquant un nouveau chapitre dans ce pays ravagé par une guerre sanglante qui dure depuis sept ans.

Selon un correspondant de l’AFP sur place, plusieurs explosions successives ont été entendues suivies par des bruits d’avions tandis que des colonnes de fumée s’élevaient du nord-est de la ville.

« J’ai ordonné aux forces armées des États-Unis de lancer des frappes de précision sur des cibles associées aux capacités du dictateur syrien Bachar al-Assad en matière d’armes chimiques », a lancé M. Trump.

« Une opération combinée est désormais en cours avec la France et le Royaume-Uni, nous les remercions tous les deux », a-t-il ajouté.

La défense anti-aérienne syrienne est entrée en action contre « l’agression américaine, britannique et française », a rapporté la télévision d’État syrienne.

Le régime syrien a jugé que cette opération militaire constituait une violation « flagrante » du droit international et était « vouée à l’échec ».

La Russie, soutien indéfectible du régime de Damas, a vivement réagi par la voix de son ambassadeur aux États-Unis, Anatoli Antonov. « Nous avions averti que de telles actions appelleraient des conséquences. Nos mises en garde n’ont pas été entendues », a-t-il estimé, jugeant que ces frappes étaient une « insulte » au président russe Vladimir Poutine.

« Un coup a été porté contre la capitale d’un État souverain qui a tenté pendant de nombreuses années de survivre au milieu d’une agression terroriste », a de son côté écrit sur Facebook la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova.

Les frappes occidentales contre la Syrie interviennent « au moment où elle avait une chance d’avoir un avenir pacifique », a-t-elle ajouté.

Pas de pertes américaines

Selon le général Joe Dunford, chef d’état-major américain, les forces occidentales ont visé aujourd’hui (heure locale) trois cibles liées au programme d’armement chimique syrien, l’une près de Damas et les deux autres dans la région de Homs, dans le centre de la Syrie.

Il a précisé qu’aucune autre opération militaire visant la Syrie n’est prévue à ce stade-ci.

Selon lui, les alliés ont pris soin d’éviter de toucher les forces russes, massivement présentes dans le pays, mais que Moscou n’avait pas été averti à l’avance des cibles choisies.

« Il est clair que le régime Assad n’avait pas reçu le message l’an dernier », a déclaré le ministre américain de la défense Jim Mattis, rappelant la frappe américaine d’avril 2017 sur la base militaire d’Al-Chaayrate, près de Homs, après une autre attaque à l’arme chimique imputée à Damas.

« Nous avons été très précis, et la réponse était proportionnée, mais, en même temps, ce fut une frappe lourde », a-t-il ajouté, précisant que les forces américaines avaient employé deux fois plus de munitions que l’an dernier.

Aucune perte américaine n’a été rapportée lors de l’opération, selon le Pentagone.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), des centres de recherche scientifique, « plusieurs bases militaires » et des locaux de la garde républicaine à Damas et ses environs ont été pris pour cibles.

De Londres, la première ministre britannique Theresa May a affirmé qu’il n’y avait « pas d’autre choix que l’usage de la force », assurant que « tous les recours diplomatiques » avaient été explorés, en vain.

Le ministère britannique de la Défense a annoncé avoir frappé, à l’aide de quatre avions de chasse Tornado GR4 de la Royal Air Force, un « complexe militaire » près de Homs, à l’ouest de la Syrie. Il a parlé d’une opération « couronnée de succès ».

Moscou a « trahi ses promesses »

Depuis Paris, le président français Emmanuel Macron a souligné que les frappes françaises étaient « circonscrites aux capacités du régime syrien permettant la production et l’emploi d’armes chimiques ».

« Nous ne pouvons pas tolérer la banalisation de l’emploi d’armes chimiques. »

— Emmanuel Macron, président de la France

Donald Trump a mis en garde l’Iran et la Russie, qui ont déployé des milliers d’hommes et du matériel pour aider Bachar al-Assad à reconquérir le pays, contre leurs liens avec la Syrie.

M. Trump a exhorté Moscou « à quitter la voie sinistre » du soutien à Bachar al-Assad. Il a affirmé que la Russie avait « trahi ses promesses » de 2013 sur l’élimination des armes chimiques syriennes.

Il a aussi estimé que le sort des pays de la région était entre les mains de leurs habitants et qu’aucune intervention militaire américaine ne pourrait, à elle seule, apporter une « paix durable ».

En voyage au Pérou, le premier ministre du Canada Justin Trudeau a déclaré hier soir que « le Canada [appuyait] la décision des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France de prendre des mesures pour diminuer la capacité du régime Assad de lancer des attaques par armes chimiques contre ses propres citoyens ».

De son côté, Amnistie internationale a affirmé par voie de communiqué : « Le peuple syrien a déjà enduré six années d'un conflit dévastateur, et des attaques chimiques dont beaucoup sont des crimes de guerre. Toutes les précautions doivent être prises pour minimiser le tort causé aux civils dans les actions militaires [menées en représailles]. »

En avril 2017, Donald Trump avait fait bombarder une base militaire syrienne en riposte à une attaque au gaz sarin imputée au régime, qui avait tué plus de 80 civils à Khan Cheikhoun.

Cette fois encore, c’est une attaque chimique présumée – le samedi 7 avril à Douma, près de la capitale syrienne – qui est à l’origine des frappes déclenchées dans la nuit de vendredi à samedi après une mobilisation de la communauté internationale, déjà saisie par l’horreur d’une guerre civile qui a fait plus de 350 000 morts depuis mars 2011.

« Preuve » de l’attaque chimique

Le bombardement intervient quelques heures seulement après que le département d’État a assuré avoir « la preuve » de l’utilisation d’armes chimiques par les forces de Bachar al-Assad.

Le président américain avait rapidement adopté une rhétorique belliqueuse après l’attaque, dénonçant dès le lendemain une « attaque chimique insensée », prévenant qu’il faudrait en « payer le prix fort » et pointant du doigt la « responsabilité » de la Russie et de l’Iran soutenant « l’animal Assad ».

ARMES CHIMIQUES

HUIT DATES-CLÉS

370

Depuis 2014, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) dit avoir enquêté sur 70 cas d’attaques au gaz en Syrie, sur un total de 370 signalements.

Juillet 2012

Le régime reconnaît pour la première fois posséder des armes chimiques.

Août 2013

Le régime mène des attaques dans la Ghouta orientale et à Mouadamiyat al-Cham, près de Damas. L’opposition accuse le régime d’avoir eu recours à des gaz toxiques, ce qu’il dément. Les États-Unis affirment avoir la « forte certitude » que le régime est responsable de cette attaque qui a fait, selon eux, au moins 1429 morts, dont 426 enfants.

14 septembre 2013

Un accord américano-russe à Genève sur le démantèlement de l’arsenal chimique de la Syrie d’ici le milieu de l’année 2014 est signé, repoussant la perspective de frappes envisagées par Washington et Paris pour « punir » le régime. L’ONU publie peu après un rapport selon lequel des « preuves flagrantes » de l’utilisation de gaz sarin ont été trouvées.

Fin août 2016

Une commission d’enquête de l’ONU et de l’OIAC affirme que des hélicoptères militaires syriens ont répandu du gaz de chlore sur au moins deux localités de la province d’Idleb, à Talmenes en 2014 et Sarmine en 2015.

4 avril 2017

Un raid aérien frappe Khan Cheikhoun, localité contrôlée par des rebelles et des djihadistes dans la province d’Idleb, faisant 83 morts, selon l’ONU. En représailles, Donald Trump ordonne des frappes sur la base aérienne syrienne d’Al-Chaayrate, dans la nuit du 6 au 7 avril. Les experts de l’OIAC et de l’ONU confirmeront que du gaz sarin a été utilisé et que le régime est responsable de l’attaque. Ce dernier dément.

22 janvier 2018 

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) rapporte 21 cas de suffocation à Douma. Des habitants et des sources médicales évoquent une attaque au chlore. Le 13 janvier, une attaque similaire avait visé la périphérie de la ville. Le 4 février, 11 cas de suffocation sont rapportés à Saraqeb. Le 25 février, 14 cas de suffocation sont rapportés après un bombardement du régime dans la Ghouta orientale. Le 7 mars, l’OSDH indique qu’au moins 60 personnes ont souffert de difficultés respiratoires à Saqba et Hammouriyé.

7 avril 2018

Au moins 42 civils sont tués à Douma dans ce que les États-Unis ont décrit comme une attaque chimique menée par le régime syrien.

13 avril 2018

Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni procèdent à des frappes aériennes en Syrie.

— D’après l’Agence France-Presse

Frappes en Syrie

« Une obligation d’agir »

Que faut-il penser des frappes orchestrées hier par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni contre le régime syrien ? Deux experts, Sami Aoun, directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal, et Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, se prononcent.

Que doit-on comprendre de cette réaction ?

Sami Aoun : M. Trump était dans une situation très délicate. Il avait une obligation d’agir parce qu’il a tellement critiqué l’administration Obama de ne pas agir [contre Assad]. Il semble que M. Trump ait décidé de retourner sur l’échiquier du Moyen-Orient et de s’imposer comme un acteur engagé dans la guerre en Syrie.

Il a plusieurs objectifs. Le premier est moral contre l’utilisation d’armes chimiques. Il peut aussi vouloir répondre à ses propres intérêts en protégeant les Kurdes et les Arabes de l’est de la Syrie, avec qui il a une alliance solide, et d’autres alliés comme l’Arabie saoudite qui sont déstabilisés par leurs pertes en Syrie. Enfin, il voulait envoyer le message à la Russie et l’Iran qu’ils ne sont pas capables de traduire les gains militaires sur le territoire syrien par des gains politiques et une reconnaissance des puissances occidentales.

Jocelyn Coulon : À partir du moment où le président Trump mais aussi le président français et la première ministre britannique avaient dit au début de la semaine qu’il y aurait une réplique, bien il fallait que la réplique arrive. Évidemment, ils ont pratiquement averti les Syriens et les Russes depuis une semaine qu’ils allaient frapper.

Peut-être que le gouvernement syrien et les forces russes ont pris des dispositions pour se protéger. On sait que le président [Emmanuel] Macron a téléphoné au président russe avant, alors se sont-ils échangé des informations ? Est-ce que les gouvernements français, américain et britannique ont averti les Russes que la frappe arrivait ? C’est une possibilité. Ce sont des réponses qui viendront éclairer la situation.

En quoi est-ce différent de l’an dernier ?

S. A. : Si cette nouvelle frappe est chirurgicale et précise sur les sites stratégiques de l’armée syrienne, alors on est à peu près dans le même scénario que l’an dernier. Cette fois-ci, il semble qu’il y ait une opération plus coordonnée avec la France et le Royaume-Uni. […] Le fait que M. Trump et d’autres leaders occidentaux aient insisté sur la brutalité, le dictateur, l’animal qu’est Assad rend aussi probable que cette frappe mène à négocier la tête du régime syrien lui-même ou à créer une situation semblable à ce qui a été convenu à la conférence de Genève [en 2013, accord américano-russe sur le démantèlement de l’arsenal chimique de la Syrie]. Cette opération militaire pourrait restreindre la Russie à négocier.

J. C. : Il n’y a rien de différent, le problème, c’est qu’il ne semble pas y avoir d’options politiques. Quand on utilise le militaire, c’est pour appuyer une option politique. Or, quelle est l’option politique en ce moment ? En tout cas, du côté des Occidentaux, on ne la voit pas venir. Il faut que les Occidentaux se rendent compte que le régime syrien a gagné la guerre en Syrie et que la meilleure façon d’abréger les souffrances des Syriens, c’est de s’asseoir à une table et de négocier la paix. À quoi ça sert de prolonger la guerre ?

Doit-on craindre une spirale de représailles de la Russie ?

S. A. : Sauf s’il y avait un dérapage inattendu et involontaire, il n’y a pas une probabilité d’accrochage ou de confrontation avec la Russie. Si l’on décode le discours de M. Trump, il a demandé à la Russie de se distancier du régime, il n’a pas dit à la Russie de sortir de la région. Il a proposé une coopération. Il y a aussi le fait que la Russie mesure très bien qu’une confrontation avec les Américains serait contre tous les objectifs de M. Poutine. Le président russe voulait, au contraire, avoir une reconnaissance de sa puissance par les Américains, et non pas les confronter. Il voulait la Syrie comme monnaie d’échange pour montrer un certain retour d’égal à égal avec les États-Unis.

J. C. : Ce qu’il faut éviter dans cette affaire, c’est que les frappes américaines tuent des soldats russes parce qu’à partir de ce moment-là, ces deux grandes puissances auraient un contact militaire. […] Lorsque des missiles tombent et qu’il y a des frappes militaires au Proche-Orient, c’est toujours une situation à risque. […] On a appris du Pentagone que l’attaque a été très ciblée, alors je n’ai pas l’impression que ça va se prolonger. Je doute également que des Russes aient été touchés.

Les acteurs du conflit

La guerre en Syrie a débuté en mars 2011 par la répression de manifestations pro-démocratie, mais s’est ensuite complexifiée avec l’implication de groupes djihadistes et de puissances régionales et internationales. Voici les principaux acteurs du conflit syrien.

Régime et alliés syriens

L’armée du président Bachar al-Assad est soutenue par 150 000 à 200 000 miliciens pro-régime, y compris des Syriens, des Irakiens, des Iraniens et des Afghans et de 5000 à 8000 combattants du Hezbollah libanais.

Alliée de poids depuis septembre 2015, l'implication de la Russie a permis aux troupes gouvernementales de reprendre plusieurs zones clés.

L’Iran a envoyé des milliers de combattants en Syrie et fournit des conseillers militaires au régime.

Rebelles

Représentant initialement quelque 100 000 combattants, leur poids s’est largement réduit à mesure des défaites infligées par le régime. L’opposition armée, qui vient de perdre son dernier bastion aux portes de Damas, dans la Ghouta orientale, ne tiendrait plus que 12 % du pays.

Ce chiffre englobe notamment les territoires dominés par Hayat Tahrir al-Cham, organisation djihadiste contrôlée par l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda et implantée dans la province d’Idleb, dans le nord-ouest.

Djihadistes

Les deux principales forces djihadistes rivales sont le groupe armé État islamique (EI) et le groupe Hayat Tahrir al-Cham.

L’EI a conquis de vastes régions en Syrie et en Irak voisin, avant de proclamer un « califat » en 2014 sur ces territoires à cheval sur les deux pays. Le groupe contrôle moins de 5 % du territoire syrien actuellement, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Hayat Tahrir al-Cham contrôle toujours la majeure partie de la province d’Idleb, actuellement le théâtre de guerres intestines entre des djihadistes et des rebelles.

Kurdes

Réprimés pendant des décennies, les Kurdes ont profité du retrait de l’armée syrienne pour établir dans le nord une administration semi-autonome sur les territoires sous leur contrôle.

Les YPG (Unités de protection du peuple), leur principale milice armée, forment le noyau dur des Forces démocratiques syriennes (FDS), composées également de combattants arabes et soutenues par la coalition internationale dirigée par les États-Unis.

Les YPG contrôlent 28 % du territoire syrien, où vit environ 15 % de la population.

Turquie, Arabie, Qatar

La Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar ont soutenu au début de la révolte la rébellion majoritairement sunnite contre M. Assad. Aujourd’hui, Riyad et Doha sont marginalisés, et Ankara a noué une alliance inédite avec Moscou.

Sur le plan militaire, la Turquie appuie des supplétifs syriens, engagés contre les djihadistes mais aussi contre les combattants kurdes, et a déployé des troupes dans le nord syrien depuis 2016.

Coalition internationale

Menée par Washington, la coalition regroupe plus de 60 pays, dont la France et le Royaume-Uni, et a mené des frappes aériennes contre l’EI depuis 2014, en appui à des troupes au sol.

Quelque 2000 soldats américains sont déployés dans le nord syrien, essentiellement des forces spéciales présentes pour combattre l’EI et entraîner les forces locales dans les zones reprises aux djihadistes.

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