Steve Bégin

Au bout de son corps

« Je pensais ne jamais être pris en deuxième ronde. Un joueur comme moi ! »

Mais même passée l’épreuve du repêchage, les premières années de Steve Bégin dans la LNH n’ont pas été faciles. « J’ai joué trois ans up and down », se souvient-il. Trois ans à douter.

Mais il a finalement fait sa place. Lors de la saison 2001-2002, il a joué 51 matchs avec les Flames. Il a récolté sept buts et cinq passes. Ce sont les statistiques d’un « grinder » et Steve Bégin le reconnaît. Mais à 5’11 et 195 livres, il n’avait pas le physique de l’emploi.

« Il allait au-delà de ce que lui permettait son corps. Ça explique beaucoup ses nombreuses blessures, croit Richard Martel. Il travaillait comme un gars de 6’4 et 215 livres. Tout le temps, tout le temps, tout le temps… Je n’ai jamais vu ce gars-là reculer sur une patinoire, jamais ; que ce soit devant le filet ou dans les coins. »

Au printemps 2003, il est échangé aux Sabres, qui le soumettent au ballotage. Il est réclamé par le Canadien. « C’est à Montréal que ma carrière a pris son envol », dit-il.

Au départ inquiet de venir dans la gueule du loup, il a vite trouvé ses marques. Les partisans l’aimaient. Les membres des médias le respectaient. Il a bâti sa réputation non pas à force de buts, mais plutôt de gestes qui, comme le soulignait l’entraîneur de l’époque, passent parfois inaperçus. « Son nom n’est pas souvent sur la feuille de pointage, mais son apport est reconnu dans le vestiaire », commentait Claude Julien.

Le 17 avril 2004, lors des séries éliminatoires contre les Bruins, Bégin a marqué l’imaginaire du public québécois. Une mise en échec ratée sur Patrice Bergeron l’a envoyé la face la première sur la bande. Sous la force de l’impact, les dents ont déchiré sa lèvre et sa mâchoire. Il crachait du sang. La blessure l’a privé de 4 dents et gratifié de 50 points de suture. Bégin ne pensait qu’à revenir au jeu : « Grouillez-vous », exhortait-il les médecins. Il est réapparu sur la glace en troisième période…

« C’est juste des dents. C’est loin du cœur », disait Bégin aux journalistes quelques jours après l’incident.

La retraite

Mais son style de jeu lui a laissé des séquelles. « Il fallait que j’aille au max tout le temps », analyse-t-il aujourd’hui. Il admet avoir souvent joué blessé.

Il y a eu les commotions cérébrales. Une fois, lors d’un long voyage dans la Ligue américaine, il a été sonné. Une commotion cérébrale évidente. « Le soigneur m’a mis un sac de glace sur la tête et m’a donné deux Advil. C’est comme ça qu’ils traitaient les commotions. J’ai joué de même tout le voyage. Des fois, j’étais sur la glace et je ne voyais plus rien. La lumière m’aveuglait. Je devais m’accoter, je tombais. »

Puis, il y a eu une blessure à l’épaule qu’il a traînée cinq ans. L’épaule se déboîtait sans arrêt, mais il n’a rien dit à personne. « Si je l’avais dit, je n’aurais peut-être pas été le joueur que j’ai été, je n’aurais peut-être pas été jusqu’au bout, dit-il. J’ai fermé ma gueule, j’ai joué par-dessus des blessures. »

Mais qui vit par l’épée périt par l’épée ; c’est finalement une blessure qui est venue à bout de lui. Il s’était fait mal au dos pendant son passage à Montréal. La hanche a compensé. À un moment, les douleurs sont devenues insupportables. Il a subi une opération en 2012. Il a manqué la saison en entier. Il croyait bien que c’en était fini de lui.

Puis, Bob Hartley l’a invité au camp des Flames. Il s’est défoncé, comme d’habitude. On l’a retenu avec l’équipe et il a joué toute la saison dernière. Cette saison en prime, c’est aujourd’hui sa plus grande fierté.

Au camp d’entraînement à la rentrée, un incident a ravivé sa blessure à la hanche. Le 15 janvier dernier, le diagnostic du médecin est tombé comme un couperet : sa saison était finie et il devait se faire opérer. Quelques jours après ça, Steve Bégin a annoncé sa retraite définitive du hockey à l’âge de 35 ans.

On estime que le quart des joueurs sélectionnés au deuxième tour du repêchage vont atteindre le plateau des 200 matchs dans la LNH. Steve Bégin en a disputé 524.

« Je n’ai aucun regret. Je pense que je suis allé au bout de mon corps », dit-il.

Non, il n’a pas été un Wayne Gretzky. Il n’a pas été tout à fait un Bob Gainey non plus. Mais il est allé au bout des rêves qu’il faisait dans la petite chambre d’un HLM de Trois-Rivières : jouer dans la Ligue nationale et fonder une famille.

Il a rencontré sa femme à la polyvalente à Val-d’Or. Ils se sont mariés il y a 10 ans et ont deux petites filles. « Je voulais que mes enfants ne manquent jamais de rien. Je suis fier. Elles ont tout. Je n’ai pas fait de l’argent pour m’acheter des affaires, dit Bégin. L’argent est placé. L’argent, c’est pour mes filles. C’est pour ça que je n’arrêterai jamais de travailler, parce que ce que j’ai ramassé, c’est pour elles. »

Si les choses étaient à refaire, il ne changerait rien, pas même son enfance. « Si j’avais grandi dans la ouate, je n’aurais peut-être pas été le joueur que j’ai été. »

Parmi les moments qu’il a préférés dans sa carrière, Steve Bégin raconte ce soir où, alors qu’il jouait pour les Bruins, son équipe a marqué trois buts lors du même désavantage numérique. « C’est moi qui ai marqué le troisième ! », se souvient-il.

Un but contre le sens du jeu. Une carrière, elle aussi, un peu contre le sens de la vie. Ça non plus, ça ne paraît pas sur les feuilles de pointage.

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