Steve Bégin

La dernière tourbe

« Il ne fera jamais midget AAA. »

Cette phrase-là, Steve Bégin l’a souvent entendue. À 15 ans, il n’a pas réussi à faire mentir ses détracteurs. Il lui a fallu attendre un an de plus pour rejoindre les Estacades de Cap-de-la-Madeleine de la ligue Midget AAA. Un an de retard sur le chemin des pros.

Il arrivait un peu par la porte d’en arrière. Mais c’est cette année-là, en 1995 alors qu’il avait 16 ans, que les choses ont débloquées pour lui.

« Steve a grandi dans un quartier où les problèmes se réglaient souvent à coup de claques sur la gueule, se rappelle son entraîneur de l’époque, Alain Groleau. Je ne sais pas si ça l’a endurci. Ce que je sais, c’est que j’ai rarement vu un joueur avec autant de détermination. »

Steve Bégin n’était pas le plus talentueux des joueurs des Estacades. Il n’était pas le meilleur marqueur de l’équipe ni le meilleur fabricant de jeux. Mais aucun ne jouait avec plus d’intensité.

Au début de l’année 1995 se préparait le camp d’Équipe Québec en vue des Jeux du Canada. Normalement, Steve Bégin n’aurait pas été invité. Mais Alain Groleau n’a pas cessé de vanter son joueur à l’entraîneur-chef de l’équipe québécoise, le bouillant Richard Martel. Bégin a été invité au camp.

« Habituellement, les joueurs Midget qui se rendent au camp avec des joueurs repêchés chez les juniors sont intimidés. Steve Bégin, lui, était remarquable. Il était intense. Il n’était vraiment pas impressionné », se souvient Martel, joint en Suède où il entraîne depuis deux ans le club de Visby Roma.

« Aux Jeux du Canada, on jouait contre de grosses équipes de l’Ouest, se rappelle Alain Groleau. Et lui, peu importe le gars qui était devant, il rentrait dans le coin à cent à l’heure avec l’air de dire “Tassez-vous de là, c’est ma rondelle”. »

Steve Bégin s’est taillé une place avec l’équipe de justesse. Il a commencé sur le quatrième trio. Il a fini sur le premier.

« Partir de Trois-Rivières »

Bégin attendait maintenant le repêchage de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) avec impatience. Il n’était pas l’un des meilleurs espoirs. En fait, il pensait sortir au troisième tour. « Je me disais que peu importe à quel rang j’allais me faire repêcher, j’allais me rendre au camp et je n’allais pas leur laisser le choix de me garder. »

Pour lui, l’important était « de sortir de Trois-Rivières ». De voir du pays.

Durant l’été, des recruteurs l’appelaient. 

« Toi, tu frappes, lui disaient-ils. Mais rendu junior, devant des gars de 19, 20 ans, presque des hommes, qu’est-ce que tu vas faire ? 

– Plus c’est gros, plus ça fait du bruit quand ça tombe, leur répondait Bégin.

– Et les bagarres ? Vas-tu te battre ?

– S’il le faut, ben oui !

Cet été-là, Richard Martel est devenu entraîneur des Foreurs de Val-d’Or. Il avait adoré Bégin.

Au repêchage, il est parti le premier de son équipe – devant les trois joueurs qui étaient censés être choisis avant lui –, au 16e rang au total.

Le jeune du quartier La Pierre allait enfin voir du pays. Il partait pour Val-d’Or.

Au camp d’entraînement des Foreurs, Bégin a fait ce que Bégin savait faire. Il s’est battu contre plus costaud que lui, il a bloqué des tirs, il a harassé les défenseurs adverses.

« C’était impossible de ne pas prendre Steve Bégin après son camp d’entraînement. Un entraîneur qui veut gagner ne peut pas ne pas être touché par un joueur comme lui, explique Richard Martel. C’est un joueur qui voulait tellement gagner. »

Martel le place sur une courte liste de joueurs capables de confondre les sceptiques grâce à une détermination hors du commun. « J’en ai eu d’autres, comme Éric Landry, Antoine Roussel… Mais ils sont rares ces gars-là. Je les compte sur les doigts d’une seule main », dit-il.

Intensité, détermination, fougue, confiance, courage, énergie… Martel n’a que de bons mots pour Bégin. Pas pour rien qu’il en a fait son capitaine. Il rêvait de le voir un jour soulever la Coupe du Président, remise chaque année à l’équipe championne de la LHJMQ. Bégin l’a soulevée en 1998.

« Je suis fier d’avoir dirigé ce gars-là. J’étais fier de me présenter sur une patinoire adverse avec un capitaine comme Steve Bégin. C’est spécial. Je me sentais solide, peu importe contre quelle équipe on jouait, se rappelle Martel. C’est un joueur qui essayait n’importe quoi pour sortir l’équipe d’une mauvaise passe. Pour un entraîneur, c’est extraordinaire. »

Après sa première saison avec les Foreurs, Steve Bégin est retourné à Trois-Rivières. Comme tous les étés, il a travaillé avec son père qui était paysagiste à ses heures.

Cinq jours avant le repêchage de la LNH, il posait de la tourbe au centre-ville.

« J’ai dit à mon père : “checke-moi bien, ça, c’est la dernière tourbe que je déroule. Plus jamais je vais faire ça, je m’en vais dans la Ligue nationale. Je m’en vais me faire repêcher”. Je venais d’avoir 18 ans. »

« Mon père m’a dit : “Je te le souhaite” », se souvient Bégin.

Quelques jours plus tard, à St. Louis, un représentant des Flames de Calgary s’est levé au 40e rang du repêchage et a commencé sa phrase en massacrant la langue de Molière : « From les Foreuws de Val-d’Ow… Steeeve Bigeen »

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