Steve Bégin

Le rêve

Un soir de 1990, à Trois-Rivières. Un dépanneur. Steve Bégin s’achète des chips, une barre de chocolat et une boisson gazeuse. Ce sera son souper. Comme souvent, son père n’est pas à la maison pour lui faire à manger.

Le caissier inscrit les achats sur un morceau de papier, le compte de son père, qu’il devra payer à la fin du mois avec l’argent de l’aide sociale. Le petit Steve ouvre la porte et sort. Il marche jusque chez lui, jusqu’à l’entrée d’un des nombreux HLM du quartier La Pierre, un secteur défavorisé de Trois-Rivières. C’est là qu’il habite avec sa sœur et son père depuis que ses parents se sont séparés quand il avait 1 an.

La Pierre, son école, ses rues et ses parcs, c’est le monde du jeune Steve Bégin. Il ne voyage pas. Son père n’en aurait pas les moyens ; il vit des jobines et de l’aide sociale. Il est aux prises avec des problèmes d’alcool*. Plusieurs des petits voisins de Steve passeront toute leur vie dans ce quartier, pris dans le cycle du chômage et de la pauvreté.

Mais Steve Bégin a un plan. Pour les adultes qui l’entourent, c’est un plan un peu fou. « N’oublie jamais que juste 1 % des joueurs se rendent à la Ligue nationale, et encore ! T’es mieux de continuer à étudier », lui a déjà lancé un enseignant.

Bégin ne veut rien entendre. Le hockey, c’est toute sa vie.

Il avait 6 ans quand il a joué pour la première fois. Son père était un fan fini du sport. Avec le peu d’argent qu’il avait, il lui a acheté un équipement usagé de la défunte marque Cooper.

Vite, le jeune garçon a montré son potentiel. Steve Bégin était l’un des meilleurs joueurs chez les pré-novices. Il enfilait les buts avec facilité. Il disputait ses matchs, rentrait chez lui, et allait jouer au hockey dans la rue, dans le sous-sol, n’importe où. « Je faisais rien que ça », se souvient-il.

Il suivait la LNH assidûment. Durant les séries, il noircissait un tableau avec le pointage des matchs, toujours plus à droite sur le morceau de papier, jusqu’à la précieuse Coupe Stanley. Sur les murs de sa chambre étaient épinglées des affiches à la gloire de Wayne Gretzky, de Mario Lemieux et de Mark Messier.

Son père lui parlait plutôt de Bob Gainey et de Dale Hunter. « Des marqueurs, il y en a à la pelletée mon gars, lui répétait-il. La LNH a besoin de travaillants, de gars qui dérangent, de petites pestes. »

Dès son plus jeune âge, on doutait de lui. Il était petit ; « chicot », dans ses propres mots. « Moi, ç’a toujours été “Il ne passera pas au niveau suivant” », rappelle Bégin.

À 13 ans, au moment de passer bantam, on prédisait sa déconfiture. Cette année-là étaient introduites les mises en échec. « J’étais haut comme trois pommes. Ils disaient : “Il ne passera jamais, là ça commence à frapper, c’est une autre affaire.” Ça me motivait, ça m’enrageait. Je suis devenu un de ceux qui frappaient le plus souvent, le plus fort. »

Lui qui marquait des points par dizaines novice et pee-wee a vu sa production offensive ralentir. Il a cessé de rêver à Gretzky et Lemieux, davantage à Gainey et Hunter. Il a changé son style de jeu, est devenu un joueur besogneux, le premier à se lancer devant les rondelles, à foncer dans les coins de la patinoire.

« À partir de bantam, j’ai toujours joué comme ça. Je n’avais pas peur de frapper. J’allais dans le tas. Je m’enlignais toujours sur les plus gros. Je voulais passer au travers. Je frappais pour faire mal. Novice, atome, pee-wee, je marquais des buts. Mais j’ai accepté de changer mon rôle quand j’étais jeune. Bantam, je commençais à être chien, chien avec mon hockey. »

Un jour, il a dit à son père qu’il ne voulait pas devenir comme lui. « Ce n’était pas méchant, je l’aime mon père, il m’a élevé, il m’a encouragé et il m’a toujours soutenu, dit-il. Mais je voulais que mes enfants ne manquent jamais de rien. Il a compris ce que je voulais dire. »

Le jeune Steve a su très tôt qu’il voulait une famille. Il a passé trop de soirées à manger seul ses chips en buvant sa boisson gazeuse. Il voulait un jour se retrouver autour d’une table avec une femme et des enfants. « Je l’ai su très tôt que je voulais une famille, vers 12 ans », dit-il.

Mais il fallait avant tout réussir dans le hockey. On dit que c’est un sport de riches. On dit que c’est un sport de grand costaud. Steve Bégin n’était ni l’un, ni l’autre.

Mais le jeune avait du cœur.

Note Infra : *Son père ne boit plus depuis 12 ans et en est très fier, précise Bégin.

Note au pupitre : la note en astérisque est très importante. Merci de ne pas la retirer !

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